Trois incertitudes majeures façonnent les marchés en 2025. Premièrement, la trajectoire actuelle de la croissance économique est incertaine, compte tenu des accords incohérents conclus par Donald Trump sur les droits de douane. Deuxièmement, les fortes tensions géopolitiques pèsent sur les prix des matières premières. Troisièmement, les marchés considèrent avec appréhension les valorisations excessives de certains actifs – principalement les actions américaines.
Dans le premier de trois articles consacrés à ce sujet, nous nous concentrons sur la trajectoire de croissance de l’économie américaine. Traditionnellement, les évaluations des cycles aux Etats-Unis reposent sur un ensemble fondamental de signaux économiques mondiaux, mais les chiffres correspondent-ils actuellement ? Cette semaine, dans Simply put, nous nous penchons sur cette mosaïque d’indicateurs pour déterminer si, dans l’environnement actuel, ils sont fiables.
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Quels indicateurs représentent les tendances de la croissance de l’économie américaine ?
De nombreux indicateurs peuvent donner une vision de la croissance américaine avant les annonces du PIB, qui arrivent souvent bien trop tard pour être réellement utiles aux investisseurs. Nous nous concentrons sur neuf signaux qui aident généralement à déterminer la phase du cycle dans laquelle nous sommes.
Le premier groupe est constitué d’indicateurs tirés « d’enquêtes ». Parmi eux, nous analysons les enquêtes de la Réserve fédérale de Philadelphie, de la Réserve fédérale de Richmond et de l’ISM Composite américain (qui combine les enquêtes sur le secteur manufacturier et les services). Le deuxième groupe se compose d’indicateurs regroupant différentes mesures : notamment l’indicateur d’Aruoba et le GDPNow de la Réserve fédérale d’Atlanta. Enfin, d’autres indicateurs plus discrets sont également disponibles : la règle de Sahm, qui transforme le taux de chômage en un indicateur du calendrier des récessions ; le taux d’utilisation des capacités, qui mesure la part effectivement utilisée du potentiel de production d’une organisation ; et l’indicateur de Kilian et Zhou, qui détermine le niveau de l’activité économique en fonction du fret maritime.
Ces indicateurs ont montré leur capacité à suivre de façon crédible la croissance américaine au cours des dernières décennies. Cependant, le graphique 1, qui présente les niveaux qu’ils affichent ces derniers temps, transmet une image de dispersion. Les indicateurs tirés d’enquêtes se situent, dans l’ensemble, en territoire négatif à hauteur d’un écart-type. Les indicateurs composites sont, quant à eux, proches de leurs moyennes à long terme. Enfin, les mesures des capacités de production et de chargement de marchandises sont marginalement négatives. Les neuf indicateurs donnent des visions contrastées du cycle. Leurs annonces varient d’une situation risquée à la croissance en passant par une économie qui tourne en vitesse de croisière.
GRAPHIQUE 1. Déconnexion de la réalité : les niveaux récents des principaux indicateurs de croissance américains1
Les signaux de la croissance économique perdent-ils le nord ?
Même si des différences existent entre ces indicateurs, aucun n’annonce une croissance explosive pour l’économie américaine. Loin de là.
La croissance modérée est représentée dans le graphique 2, qui montre une moyenne de ces indicateurs par rapport au signal de prévision de croissance de LOIM. Notre indicateur rassemble les lectures passées des indicateurs économiques américains afin de « prévoir » la trajectoire de croissance du pays. Le graphique montre l’avantage apparent d’un indicateur en temps réel agrégé, qui est parvenu à capturer moins de faux signaux au cours de la dernière décennie.
Cependant, plus récemment, notre signal en temps réel ainsi que l’indicateur formé par la moyenne des neuf indicateurs énumérés ci-dessus ont montré les signes d’une faiblesse de l’économie. Et celle-ci persiste depuis un total de 33 mois. Les Etats-Unis ont malgré tout enregistré une croissance solide au cours de cette période, alors même que tous les indicateurs du cycle pointaient vers un ralentissement.
GRAPHIQUE 2. Tendance baissière : moyenne des indicateurs du cycle américain par rapport à l’indicateur en temps réel de la croissance américaine de LOIM2
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Depuis 1981, seules deux autres périodes ont vu les signaux montrer une dégradation continue de l’économie pendant plus de 30 mois : les années entourant l’explosion de la bulle Internet et la crise financière mondiale de 2008. Ainsi, depuis plus de 40 ans, jamais nous n’avons vécu de période aussi longue d’indicateurs de croissance économique négatifs sans réelle contraction de l’économie des Etats-Unis. De plus, après 30 mois de faiblesse, ces indicateurs s’inscrivent généralement sur une nette tendance à la hausse (voir figure 3).
Puisqu’une telle amélioration est aujourd’hui absente, ces indicateurs habituellement fiables ont-ils perdu leur pertinence ?
GRAPHIQUE 3. Moyenne des indicateurs économiques selon le nombre de mois consécutifs en territoire négatif3
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Mauvais timing : les indicateurs sont déconnectés du cycle
Pour répondre à cette question, nous évaluons l’ampleur de la corrélation entre chaque indicateur et des périodes définies de croissance économique à long terme, entre 1981 et 2025, et plus récemment, entre 2021 et 2025 (voir graphique 4). Cette analyse inclut notre indicateur en temps réel de la croissance aux Etats-Unis.
Le constat est clair : ces dernières années, les corrélations entre ces indicateurs et la croissance américaine, telle que la mesure le National Bureau of Economic Research (NBER), ont fortement diminué. La corrélation qui a le moins reculé est celle de la règle de Sahm, suivie de celle de notre indicateur en temps réel, avec 33% et 16% respectivement pendant la période 2021-2025. La moyenne de toutes les corrélations a été divisée par deux, passant de 25% à 13%. Etant donné que les signaux auxquels se fient les économistes du monde entier semblent perdre leur lien avec la croissance américaine, l’incertitude concernant la trajectoire de la plus grande économie du monde augmente.
GRAPHIQUE 4. Décomposition des corrélations : principaux indicateurs économiques et régimes de croissance des États-Unis4
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Lorsque les signaux perdent leur pouvoir de prédiction
En creusant davantage, on constate que seulement 20% des neuf indicateurs que nous suivons et qui sont cités ci-dessus ont annoncé la période actuelle d’expansion, telle que la montre le NBER. Ainsi, 80% d’entre eux pointent vers une récession (voir graphique 5). Nous savons que les faux signaux sont quelque chose qui peut être fréquent dans les données économiques. Néanmoins, il est clair que les partisans d’une croissance forte aux Etats-Unis lors des prochains trimestres ont contre eux la majorité des mesures les plus pertinentes du cycle (du point de vue historique). Ces indicateurs ont perdu leur pouvoir de prédiction et les observateurs ont donc plongé en pleine incertitude macroéconomique.
GRAPHIQUE 5. Pourcentage d’indicateurs pointant vers une expansion par rapport aux dates du NBER5
Les répercussions pour l’investissement multi-actifs
Notre positionnement actuel reflète indirectement cette incertitude. Les volatilités réalisées de nombreuses primes de risque restent élevées, tandis que les tendances liées aux actifs cycliques se sont améliorées. Nos signaux macroéconomiques se situent dans une zone neutre, ou de flou, tandis que notre exposition aux marchés mondiaux reste inférieure aux moyennes historiques. Nos allocations tiennent donc en partie compte de cette période d’incertitude plus élevée et nous misons sur la diversification et une exposition modérée au marché.
En d’autres termes, Simply put, la perte du pouvoir de prédiction des indicateurs clés de croissance génère de l’incertitude concernant la trajectoire de l’économie américaine. En réponse, nous recherchons la diversification.
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Indicateurs macro/en temps réel
Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.
Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :
- La croissance a chuté, les Etats-Unis enregistrant le recul le plus important, principalement en raison de la baisse des chiffres de la productivité industrielle. Elle a également ralenti dans la zone euro, tandis qu’elle est restée stable en Chine
- L’inflation n’a pas bougé dans l’ensemble. En Chine, cependant, l’indicateur poursuit son recul amorcé mi-mai, en partie en raison du fléchissement des données de consommation
- Les risques de surprises concernant la politique monétaire ont diminué aux États-Unis, principalement à cause des perspectives de croissance incertaines. L’indicateur a légèrement augmenté en Chine et dans la zone euro.
Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Note de lecture : les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).