En début d’année, les espoirs d’une reprise plus égale du marché semblaient justifiés. Les premiers mois de 2025 ont vu la performance des actions et autres actifs risqués enfin s’élargir au-delà d’une poignée de titres dominants. Cependant, vers le milieu de l’année, force a été de constater que cet élargissement n’était que minime. Les actions américaines et technologiques ont rapidement repris la tête du marché, rétablissant ainsi la dynamique qui influençait la performance globale depuis 2020. Cependant, cette fois-ci, les valeurs technologiques chinoises ont rejoint les rangs.
La concentration des rendements ne se limite pas aux actions. Les données macroéconomiques mondiales révèlent des disparités similaires, un nombre restreint d’économies, de secteurs et de ménages bénéficiant de la croissance dans la plus grande mesure tandis que les autres restent en retrait. Les économistes qualifient cette inégalité d’économie « en forme de K », caractérisée par une divergence des trajectoires économiques et financières entre différents groupes au sein d’un même système, où certains prospèrent quand d’autres stagnent.
Cette semaine, Simply put analyse divers scénarios illustrant cette divergence et permettant d’en mesurer la véritable ampleur.
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Une économie mondiale en forme de K
Les États-Unis incarnent clairement cette notion de reprise en forme de K. Le concept est simple : à partir du même point de départ (à savoir le choc économique créé par la pandémie de 2020), certains segments accélèrent tandis que d’autres entrent dans une spirale baissière. La partie ascendante du K représente les gagnants, c’est-à-dire les ménages, les secteurs et les régions qui profitent de la croissance. La partie descendante représente quant à elle les laissés-pour-compte.
La figure 1 met en évidence deux de ces scénarios :
- L’indicateur de croissance des salaires de la Fed d’Atlanta, qui mesure la croissance des salaires par quartile de revenu, illustre cette divergence. Entre 2021 et 2022, la reprise qui a suivi la fin de la pandémie a stimulé la croissance des salaires aux États-Unis, toutes tranches de revenus confondues, mais surtout parmi les revenus moins élevés. Depuis mai 2024, cependant, cette tendance s’est inversée. Les plus hauts revenus ont bénéficié d’une croissance des salaires largement supérieure à celle des revenus les plus faibles. Cette inversion se manifeste généralement en période de ralentissement économique, mais cela ne semble pas être le cas à l’heure actuelle pour l’économie américaine. Aujourd’hui, les plus hauts revenus se situent dans la partie supérieure du K tandis que les revenus faibles constituent la partie inférieure
- Pour une perspective plus globale, l’évolution du PIB réel par habitant1, rebasé, confirme cette tendance. Entre 2010 et 2019, le PIB par habitant des États-Unis a progressé jusqu’à creuser un écart de 10% par rapport à celui des autres pays du G7. Depuis 2022, les pays du G7 (hors États-Unis) stagnent alors que le PIB réel par habitant des États-Unis affiche une forte croissance, creusant l’écart à près de 25%. Dans ce cas précis, la première économie du monde a pris une avance considérable, que ses homologues n’ont pas réussi à suivre.
Les deux graphiques sont une illustration saisissante du fonctionnement d’une économie en forme de K : une distinction marquée entre les régions ou groupes dans lesquels la croissance des revenus accélère et ceux qui stagnent. Les données suggèrent que, si la performance globale reste solide, la prospérité est de plus en plus concentrée. Les gros titres parlent de résilience, mais cela masque en réalité un fossé croissant.
GRAPHIQUE 1. Croissance des salaires aux États-Unis, par quartile de revenu, et PIB réel par habitant des pays du G7, rebasé2
Marchés financiers / Économie
Ces disparités ne se limitent pas aux données relatives au PIB ou aux salaires, mais s’étendent naturellement aux marchés financiers. La figure 2 illustre ce phénomène à deux niveaux :
- Le lien entre bénéfices et salaires aux États-Unis. Entre 1997 et 2019, leur croissance cumulée a évolué de façon quasiment identique. Les entreprises répartissaient les fruits de la croissance entre la main-d’œuvre et le capital selon une dynamique relativement équilibrée. Depuis 2020 toutefois, les bénéfices se sont nettement détachés des salaires. Cet écart croissant signifie qu’une plus grande productivité profite davantage aux détenteurs du capital qu’aux salariés, une dynamique renforcée par des réductions d’impôt et des marges solides au sein des entreprises. Toute amélioration de la productivité est la bienvenue, mais ses avantages sont de plus en plus concentrés du côté des bénéfices
- La performance relative des styles. Une comparaison des performances entre les styles « croissance » et « value », aux États-Unis et en Europe, révèle un déséquilibre similaire. Aux États-Unis, les valeurs de croissance surperforment largement les titres value depuis 2020, en raison principalement des valeurs technologiques. Les titres value américains ont enregistré des rendements comparables à ceux de leurs homologues européens, tandis que les valeurs de croissance européennes ont à peine progressé depuis 2023. Ici aussi, la divergence est frappante : un petit nombre de segments ont dégagé des performances disproportionnées. Ainsi, au sein d’un même cycle du marché mondial, on retrouve la même configuration de gagnants et de retardataires, une hiérarchie indéniablement en forme de K.
Ces exemples soulignent qu’une dynamique en forme de K n’oppose pas nécessairement les « bons » secteurs aux « mauvais » secteurs, mais révèle plutôt une participation inégale à la croissance et aux rendements. C’est la fragmentation elle-même (entre les régions, les secteurs et les tranches de revenus) qui caractérise cette phase de l’économie mondiale.
GRAPHIQUE 2. Évolution des salaires par rapport aux bénéfices et performance des styles d’actions3
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Implications pour les investisseurs multi-actifs
Il est important de bien comprendre ces trajectoires divergentes dans le contexte de la gestion de portefeuilles. Le contexte actuel exige des expositions variées permettant de s’adapter à un monde fragmenté. Les stratégies orientées sur le momentum sont bien placées pour exploiter la partie supérieure du K, en se focalisant sur les tendances persistantes et les segments où le momentum structurel demeure solide. Parallèlement, la partie inférieure (c’est-à-dire les zones en retard) pourrait offrir des opportunités à plus long terme parmi les titres value et les stratégies de portage, car les valorisations y sont serrées et la stabilité des cash flows compense une croissance insuffisante.
Dans le même temps, un monde en forme de K renforce la nécessité d’une véritable diversification. Lorsque la dynamique macroéconomique et celle du marché ne sont plus alignées, des portefeuilles multi-actifs équilibrant l’appréciation des prix, le portage et la diversification peuvent contribuer à une performance plus stable. La diversification n’est plus simplement un outil d’optimisation, mais une condition préalable à la résilience.
En d’autres termes, Simply put, un scénario en forme de K tire les marchés, soutenus par une poignée de gagnants qui avancent alors que les autres stagnent. Les investisseurs doivent prendre conscience de cette forme en K afin de construire des portefeuilles adaptés au monde inégal d’aujourd’hui.
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Indicateurs macro/en temps réel
Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.
Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :
- Notre indicateur de croissance est resté stable cette semaine, avec une légère baisse liée aux signaux en provenance de la Chine, où une détérioration des exportations a été observée.
- L’indicateur d’inflation a légèrement reculé, principalement en raison de données d’exportation plus faibles en Chine.
- Notre signal de politique monétaire est demeuré globalement inchangé, à l’exception de la Chine, reflétant le même facteur qui affecte la croissance et l’inflation.
Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Note de lecture : Les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).