Sur les marchés, des signaux subtils peuvent annoncer que de grandes tempêtes sont proches. Parmi ces indicateurs avancés, la structure des échéances des spreads de crédit mérite une attention particulière. Comme elle montre les perceptions du risque de crédit à court et à long terme, elle peut servir de système d’alerte rapide.
Ainsi, lorsqu’une société est proche de la défaillance, la courbe de son spread de crédit tend à augmenter et à s’inverser. Les écarts de rendement deviennent plus marqués à court terme qu’à long terme, ce qui annonce un danger immédiat. Les gérants de portefeuille de crédit du monde entier connaissent ce signal de risque classique.
La structure des échéances des spreads de crédit pourrait-elle également nous prévenir d’un risque systémique menaçant l’économie américaine ? Les swaps sur défaillance (CDS) américains et leur comportement lors des précédentes crises liées au plafond de la dette des États-Unis nous montrent que les marchés s’inquiètent souvent en coulisse du déficit des États-Unis. Si nous ajoutons à cela le fait que les courbes de rendement s’expriment fréquemment avant les premiers gros titres dans les journaux, les arguments en faveur de l’utilisation des swaps sur défaillance pour évaluer le risque de crédit de l’économie américaine se renforcent.
Cette semaine, Simply put examine la récente évolution des CDS et analyse en quoi elle pourrait éclairer nos allocations de portefeuille multi-actifs.
Lire aussi : Ici et maintenant : quand les marchés réagissent davantage aux conditions à court terme
Comment les écarts de rendement annoncent un incident de crédit
En temps normal, les spreads de crédit à court terme sur les obligations sont inférieurs aux écarts de rendement à long terme. En effet, les risques à court terme étant plus visibles, le risque à long terme est mécaniquement plus élevé. La structure des échéances des différentiels affiche donc généralement une tendance haussière dans le temps.
En revanche, lorsqu’une société est sur le point de faire défaut sur le paiement d’un coupon ou d’un principal, la structure des échéances de ses spreads de crédit dévie progressivement. En réaction à ce risque immédiat, les écarts de rendement à court terme augmentent plus rapidement que les écarts de rendement à long terme. La structure des échéances d’un émetteur considéré comme au bord de la défaillance s’inverse alors et s’oriente à la baisse.
Dès lors, que nous disent les marchés des CDS sur le risque de crédit des États-Unis ? La figure 1 montre l’évolution des écarts de rendement des swaps sur défaillance, qui servent d’assurance contre les cessations de paiement aux États-Unis. En règle générale, la structure des échéances de ces écarts de rendement varie entre zéro et 40 points de base, indépendamment de l’échéance. Entre janvier et mai 2023, le gouvernement américain était exposé au risque lié à la renégociation de son fameux plafond de la dette. Un échec de ces négociations pourrait avoir déclenché un événement de crédit. Face à ce risque, la structure des échéances des CDS a réagi de la façon suivante :
- dans l’ensemble, les écarts de rendement ont grimpé à des niveaux correspondant au risque d’insolvabilité d’un émetteur de dette souveraine
- la structure des échéances s’est inversée, les CDS à 1 an approchant 180 pb, tandis que les CDS à 10 ans atteignaient 60 pb.
En résumé, face à la question du plafond de la dette, les marchés ont réagi comme ils l’auraient fait en cas de grave risque de crédit pour une entreprise. Lorsque le risque s’est dissipé grâce à un accord passé au Congrès, la structure des échéances et les niveaux des écarts de rendement des CDS se sont rapidement normalisés.
GRAPHIQUE 1. Structure des échéances et niveaux des écarts de rendement des CDS américains (EUR), par échéance1
Effet marché
Cette période d’inversion de la courbe qui a duré de janvier à mai 2023 puis la normalisation observée jusqu’au 10 juin 2023 constituent des réactions caractéristiques du marché face au risque souverain. Au-delà des marchés des CDS, les principaux indices ont-ils été affectés ? La figure 2 montre les retombées de la saga du plafond de la dette sur différents marchés. Elle nous aide ainsi à mieux comprendre la portée du risque souverain sur les marchés financiers.
En résumé, la réponse à cette question est non. Cette figure laisse peu de place au doute, car elle nous montre que :
- le dollar américain a perdu du terrain lors de l’inversion des écarts de rendement, avant de rebondir pendant la normalisation
- les autres classes d’actifs n’ont montré aucun signe de stress : les bons du Trésor sont restés dans le vert (malgré un risque accru sur l’émetteur américain), tandis que les actions américaines et européennes ont progressé.
Il convient toutefois de ne pas tirer de conclusions hâtives. Cette situation n’a peut-être pas annoncé un effondrement des marchés mondiaux, mais prenons à présent le cas du mini-budget proposé en 2022 par la Première ministre britannique Liz Truss. À l’époque, les obligations et les actions britanniques avaient souffert, tout comme la livre sterling.
GRAPHIQUE 2. Performance des marchés lors de l’inversion de la structure des échéances des CDS américains puis de la normalisation au S1 20232
Qu’en est-il du risque actuel ?
Les marchés n’ont pas la même image du gouvernement Trump et de l’équipe dirigée par Joe Biden en 2023, comme en témoignent les écarts de rendement actuels des CDS sur la dette souveraine américaine.
La figure 3 montre la récente évolution de la structure des échéances des CDS. Il en ressort que, avant même la toute dernière reprise des négociations sur le plafond de la dette, la « grande et belle loi » (big beautiful bill) de Trump, qui vise à prolonger les baisses d’impôts, pesait sur le déficit budgétaire américain alors que ni les mesures du département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE) ni l’augmentation des droits de douane n’apportaient de solutions de financement. Ainsi, le marché des CDS a non seulement globalement augmenté, annonçant une hausse du risque, mais la structure des échéances a commencé à voir sa tendance haussière ralentir, puisqu’elle est passée de 20 à 15 pb au cours de l’année.
Même s’il est encore trop tôt pour tirer la sonnette d’alarme, les demandes de couverture témoignent d’une certaine nervosité sur le marché. Si ce risque continue à augmenter, nous devrons surveiller de près les variations des marchés pour déterminer si ceux-ci considèrent que la situation est comparable à celle 2023 ou si elle est même plus grave.
GRAPHIQUE 3. Variations de la structure des échéances des CDS américains, de décembre 2024 à juin 20253
Implications en matière d’investissement pour les investisseurs multi-actifs
Ces dernières semaines, le positionnement de notre gamme de stratégies multi-actifs All Roads est globalement passé de défensif à seulement prudent. Le risque associé à la loi phare de Donald Trump reste bien réel et présent, mais le marché ne montre pas de signe de panique. Comme en 2023, nous ne percevons aucun signe de ce risque dans les tendances que nous suivons ou au sein des signaux de la propension au risque. C’est pourquoi, dans ce contexte, notre exposition aux marchés a constamment augmenté
En d’autres termes, le risque de défaut des États-Unis a augmenté. Cette situation n’a, pour le moment, pas provoqué de tensions sur les marchés, mais requiert une surveillance continue.
Pour en savoir plus sur notre philosophie d’investissement multi-actifs fondée sur les risques, veuillez cliquer ici.
Indicateurs macro/en temps réel
Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.
Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :
- notre indicateur en temps réel de la croissance a augmenté par rapport à la semaine dernière dans la plupart des régions
- depuis le début du mois d’avril, notre indicateur de l’inflation a poursuivi sa tendance baissière au niveau mondial, même s’il présente aujourd’hui une tendance élevée et en hausse
- à l’échelle mondiale, notre indicateur en temps réel de la politique monétaire a grimpé, notamment dans la zone euro et en Chine, tandis qu’il a reculé aux États-Unis. L’indicateur de la zone euro approche du seuil de 50%.
Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Note de lecture : les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).