Outre l’essor d’un secteur technologique américain apparemment tout-puissant, jusqu’à récemment du moins, les dix dernières années ont également été marquées par un autre signe de la domination américaine : la force du dollar. Si l’appréciation de la monnaie américaine est aujourd’hui évidente – c’est l’un combats de l’administration Trump – il a fallu du temps pour que les investisseurs associent ces deux phénomènes.
La force de la monnaie et la progression de ce secteur sont clairement associées par une variable économique clé : la productivité. En tant que concept économique, la productivité reste souvent insuffisamment quantifiée et parfois mal comprise, alors qu’il s’agit probablement d’une des variables centrales pour comprendre le cycle actuel et les défis qui l’accompagnent. Ce numéro de Simply put revient sur l’importance de la productivité pour expliquer la performance des monnaies, et s’interroge sur l’évolution du dollar dans un avenir proche. Une productivité élevée implique-t-elle une monnaie forte ?
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Comment la productivité renforce la monnaie
Il existe de nombreuses façons de mesurer la productivité, et il est difficile de parvenir à un consensus sur ce sujet. Les économistes les moins ambitieux ont tendance à se rabattre sur ce que l’on appelle l’équation de Solow – du nom du prix Nobel Robert Solow – qui établit un lien entre la croissance économique, la croissance démographique et l’investissement, pour faire de ce que ces deux facteurs n’expliquent pas (ce « résidu ») une mesure de la productivité. Si la croissance ne reflète pas la progression des facteurs de production (démographie et capital), elle doit être due à des gains d’efficacité, c’est-à-dire à la productivité. Tout économiste qui se respecte connaît parfaitement cette relation et sait comment l’utiliser pour mesurer les fluctuations de la productivité d’un pays (oui, la productivité fluctue).
La figure 1 se base sur la mesure de la productivité de Solow pour comparer le cours des monnaies de différents pays (en taux de change effectif). Quelle que soit la période considérée (les deux, cinq ou dix dernières années), la conclusion est la même : les monnaies fortes sont celles des pays qui réalisent des gains de productivité. Au sein du G10, il n’y en a que deux : le dollar américain et le franc suisse. Cette relation empirique entre gains de productivité et monnaie est comprise depuis longtemps : les gains de productivité générés par une économie déterminent la performance financière des investissements de cette économie. Une économie qui réalise des gains de productivité attire les flux d’investissement en raison de ses rendements financiers élevés.
FIGURE 1. Gains de productivité et progression de la monnaie1
Il est parfois difficile de savoir quel phénomène se produit en premier : si la progression du dollar reflète probablement l’effet économique du secteur technologique américain, le cas de la Suisse est différent. La force du franc a forcé l’économie suisse à s’adapter, ce qui s’est traduit par des gains de productivité.
Précisions concernant les monnaies
Si cette perspective à long terme est intéressante, qu’en est-il des deux cas particuliers qui retiennent l’attention des investisseurs depuis le début de l’année : le dollar et l’euro ? La figure 2 compare la productivité et le cours des monnaies dans les deux régions depuis les années 1980 pour le dollar et les années 1990 pour l’euro. Le graphique montre clairement le lien étroit entre la valeur (et non les rendements) des monnaies et la productivité.
Deux des principales hausses du dollar (dans les années 1990 et au cours des quatre dernières années) correspondent clairement à des booms de la productivité. Si la progression de la productivité américaine en 2005-2007 n’a pas fait grimper la valeur du dollar, cela s’explique en partie par le fait que la croissance de la productivité européenne au cours de cette période a été supérieure à celle des Etats-Unis, car elle correspondait à une période de forts investissements bancaires et d’infrastructures en Europe.
Les fluctuations de la paire EUR/USD par rapport aux gains de productivité soulignent à quel point la situation actuelle est catastrophique. Une décennie de sous-investissement en Europe a entamé le potentiel de croissance de la zone euro au point d’affaiblir durablement la valeur de sa monnaie. Le double effet de l’émergence d’un concurrent en matière d’IA (DeepSeek2) et de la réindustrialisation de l’économie américaine, ainsi que les plans d’investissement de l’Europe, pourraient bien inverser cette situation pour les dix prochaines années. Attention toutefois au mouvement de fond de la productivité : sous-estimer ses effets revient à perdre de vue la trajectoire des grandes monnaies mondiales.
FIGURE 2. Comparaison entre les fluctuations monétaires et les gains de productivité nationaux3
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Implications en matière d’investissement pour les investisseurs multi-actifs
Notre analyse des monnaies et de la productivité n’a pas d’implication directe sur nos stratégies All Roads. Cependant, dans le climat d’incertitude qui entoure naturellement ces grandes transitions potentielles, la diversification entre actifs de couverture et actifs cycliques proposée par nos stratégies, ainsi qu’une exposition aux marchés conforme à leur moyenne historique, nous semblent pertinentes. La prudence reste de mise dans ces périodes de transition majeures – la dégradation de nos signaux de tendance depuis le début de l’année n’en est qu’un signe parmi d’autres.
En d’autres termes, Simply put, les effets conjugués des productivités relatives pourraient renforcer la valeur de l’euro par rapport au dollar dans les années à venir.
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Indicateurs macro/en temps réel
Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.
Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :
- Notre indicateur de croissance a baissé, en particulier aux Etats-Unis, en raison du déclin du secteur de la production, alors que près de 50% des données montrent une amélioration au niveau mondial.
- Notre indicateur d’inflation en temps réel est resté inchangé cette semaine et continue à se maintenir au-dessus de la barre des 50%.
- Notre indicateur de la politique monétaire au niveau mondial a chuté, reflétant une détérioration de la consommation dans la zone euro.
Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Note de lecture : les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).