Risque souverain de la France : ce que les marchés nous disent

Jerôme Collet - Head of Core Systematic Portfolio Management & Solutions
Jerôme Collet
Head of Core Systematic Portfolio Management & Solutions
Florian Ielpo, PhD - Head of Macro, Multi Asset
Florian Ielpo, PhD
Head of Macro, Multi Asset
Risque souverain de la France : ce que les marchés nous disent

points clés.

  • L’instabilité politique qui règne en France a érodé la confiance des investisseurs à l’égard du risque de crédit souverain du pays
  • A en croire les écarts de rendement actuels, le marché considère que la France appartient à la catégorie A et non plus à la catégorie AA, ce qui n’est toutefois pas alarmant
  • Toute nouvelle détérioration pourrait annoncer un recul vers la catégorie BBB, où la prime des obligations souveraines par rapport aux titres d’entreprise disparaîtrait et où les coûts d’emprunt pourraient fortement augmenter.

Il est impossible d’ignorer le chaos politique qui règne actuellement en France. La démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, dernier départ en date parmi les ministres, puis son retour, a engendré une incertitude considérable pour les investisseurs. Au-delà de ses profondes implications sociétales, la situation nécessite de soigneusement réévaluer le profil de risque souverain du pays. Cela est d’autant plus important que les investisseurs étrangers détiennent environ la moitié des titres de dette souverains français. 

La France conserve actuellement une note médiane (souvent appelée note indicielle) de AA-, mais il semble justifié de se demander si les valorisations actuelles du marché correspondent bien à cette catégorie. Si l’opinion du marché diverge des évaluations officielles, dans quelle mesure la solvabilité de la France est-elle intégrée aux prix du marché ? Cette analyse est particulièrement nuancée, car les écarts de rendement des obligations souveraines découlent généralement de facteurs prospectifs. La rétrogradation officielle des notes de crédit ne fait que confirmer ce que les acteurs du marché reflétaient déjà. 

Cette semaine, Simply put cherche à savoir si le marché considère encore que le risque de crédit de la France correspond à la catégorie AA-. Dans le cas contraire, nous envisageons également les conséquences anticipées par les investisseurs et tentons de déterminer les seuils des écarts de rendement souverains indiquant véritablement que l’opinion du marché change.

Marchés prospectifs

Les acteurs du marché comprennent le principe fondamental selon lequel les marchés financiers sont des mécanismes prospectifs. Les marchés obligataires sont depuis longtemps considérés parmi les plus anticipatoires au sein du système financier mondial. Ainsi, en termes méthodologiques, il ne serait pas approprié de comparer directement les notes de crédit actuelles avec les écarts de rendement des obligations souveraines, car cela attribuerait à tort des signaux de prix futurs à des informations publiques passées. Divers aspects de l’hypothèse d’efficience des marchés d’Eugène Fama ont fait l’objet de critiques scientifiques ces deux dernières décennies, mais le principe reste largement valide. 

En conséquence, pour établir une corrélation pertinente entre les écarts de rendement et les notes de crédit, il faut veiller à une synchronisation rigoureuse des données. Plus précisément, il convient de déterminer l’horizon prospectif intégré aux écarts de rendement des obligations souveraines, c’est-à-dire le différentiel de rendement entre le titre d’un émetteur souverain et l’obligation de référence au sein d’une même zone monétaire.

La figure 1 illustre la relation entre les notes indicielles et les écarts de rendement des obligations souveraines sur les marchés européens de 2010 à 2025, à l’aide du coefficient R² de McFadden. Cette analyse procède à des ajustements en fonction de différents horizons temporels, afin d’observer l’évolution de la relation. Nous ne pouvons pas utiliser de corrélation simple, car les notes de crédit évoluent par paliers distincts. Nous utilisons plutôt la régression Probit ordonnée pour relier ces notes avec les valeurs réelles représentées par les écarts de rendement des obligations souveraines. 

En savoir plus : Ne pas tenir tête à la Fed : elle est le principal moteur des rendements des obligations américaines

La visualisation des données révèle que le lien entre les notes de crédit et les écarts de rendement est faible lorsqu’on les observe au même moment. En revanche, la relation statistique se renforce considérablement à mesure que l’horizon prospectif s’allonge, atteignant un niveau suffisamment élevé au bout d’un an puis son niveau maximal au bout de 24 mois.

La vérification de cette relation temporelle est essentielle pour déterminer avec exactitude si les prix actuels du marché correspondent toujours à une note de crédit de AA- pour la France.

GRAPHIQUE 1. Pouvoir explicatif des notes de crédit par rapport aux écarts de rendement en vigueur sur le marché1 (coefficient R2 de McFadden)

Quelle est la valeur réelle de la France ?

La figure 2 montre les écarts de rendement estimés pour les émetteurs souverains de la zone euro entre 2010 et 2025, en tenant compte de la nature prospective des marchés. De la catégorie AAA à la catégorie A+, les écarts de rendement moyens restent généralement inférieurs à 50 points de base (pb), ce qui constitue une prime relativement modeste. En revanche, cette prime augmente avec la note A et dans les catégories inférieures. Elle devient particulièrement importante pour les émetteurs notés BBB, avec des écarts de rendement largement supérieurs à 100 pb. A cet égard, la Grèce et Chypre sont des exemples de rétrogradation pertinents dans la zone euro. Bien qu’elles appartiennent désormais au passé, ces crises offrent des références utiles pour les niveaux à surveiller.

Moody’s a attribué à la France une note équivalente à AA-, ce qui correspond habituellement à un écart de rendement moyen de 20 pb. Toutefois, les écarts de rendement indiciels du pays oscillent autour de 40 pb, ce qui suggère que, pour le marché, le pays n’appartient plus véritablement à la catégorie AA, mais plutôt à la catégorie A, conformément aux notes récemment attribuées par S&P et Fitch. Nos estimations indiquent quant à elles une note plus proche de A+, ce qui, il faut le souligner, n’est pas alarmant.

Si l’on répercute ces chiffres dans les écarts de rendement des titres à dix ans, surveillés de très près, cela correspond à environ 80 pb. Le seuil à surveiller, qui signalerait une zone de danger, serait de 20 pb supplémentaires, soit 60 pb pour les écarts de rendement indiciels et 100 pb pour les rendements des titres à dix ans. Si ces niveaux étaient dépassés, on pourrait en conclure que les marchés attendent un recul de la France dans la partie inférieure de la catégorie A. Cela serait d’autant plus inquiétant que le palier inférieur suivant serait la catégorie BBB, avec une hausse de l’écart de rendement comprise entre 50 pb et 70 pb, une véritable zone de danger.

GRAPHIQUE 2. Ecarts de rendement estimés pour les obligations souveraines européennes, par note de crédit2  (avance de deux ans) 

Risques liés à la note BBB

La catégorie BBB est problématique pour la solvabilité d’un pays, car elle s’accompagne d’une hausse de 100 pb ou plus des écarts de rendement, indiquant clairement que les marchés ont perdu confiance dans la capacité du pays à assurer le service de sa dette. En outre, ce n’est pas le seul inconvénient rencontré par les pays atteignant cette note.

La figure 3 présente les écarts de rendement des titres d’entreprise, par note de crédit, selon la même méthodologie que celle utilisée dans les figures 1 et 2, en comparant ces valeurs aux écarts de rendement des obligations souveraines. Une tendance distincte émerge : les notes de AAA à A font ressortir une prime liée au statut d’émetteur souverain, illustrée par la différence entre les écarts de rendement des titres d’entreprise et ceux des obligations souveraines tout au long de la période. Cet « avantage souverain » se chiffre à environ 50 pb. Il découle du principe fondamental selon lequel les émetteurs souverains ont intrinsèquement plus de raisons de rembourser leur dette : pour conserver leur accès aux marchés, les Etats doivent être perçus comme des emprunteurs fiables.

Ce principe a toutefois ses limites, comme le montre le nombre significatif de défaillances des émetteurs souverains au cours des 200 dernières années. Lorsque les marchés estiment qu’un émetteur souverain appartient à la catégorie BBB, cette prime souveraine disparaît de facto et l’émetteur concerné est traité sur un pied d’égalité avec les entreprises. Le graphique montre clairement cette relation, qui explique pourquoi un nouvel élargissement de 100 pb des écarts de rendement entre la France et l’Allemagne serait véritablement inquiétant. Une telle variation correspondrait à un écart d’environ 180 pb par rapport à l’Allemagne, un seuil critique à surveiller.

En savoir plus : La taille compte : ce que les petits pays nous enseignent sur le commerce mondial

GRAPHIQUE 3. Ecarts de rendement estimés pour les obligations souveraines et les titres d’entreprise en Europe, par note de crédit3

Implications en matiere d’investissement pour les investisseurs multi-actifs 

Nos stratégies All Roads privilégient systématiquement la diversification des expositions, tant au sein des classes d’actifs et des primes de risque qu’entre elles. Le degré actuel du risque politique qui caractérise la France (ou les Etats-Unis) exige de diversifier les actifs et de soigneusement comparer les tendances et les risques. Ces facteurs de risque n’ont jusqu’à présent eu que des effets temporaires sur les marchés financiers, ce qui suggère qu’il est crucial de conserver ses investissements lors de ces épisodes, afin de ne pas prendre de retard par rapport au marché, tout en équilibrant les risques et les opportunités.

En d’autres termes, Simply put, la France est actuellement considérée comme un émetteur A+ par les marchés. Toute nouvelle détérioration mettrait le pays dans une situation difficile.

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Indicateurs macro/en temps réel

Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.

Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :

  • Cette semaine, la plus grande contribution à notre indicateur de croissance en temps réel est venue des Etats-Unis, qui ont reculé, tandis que la zone euro et la Chine sont restées stables. Cette rétrogression s’explique par l’affaiblissement des prévisions en matière de production.
  • La détérioration des données sur les coûts dans la zone euro a contribué au recul du signal mondial, qui s’est rapproché du régime faible, mais en hausse.
  • Nos signaux de politique monétaire n’ont pas changé : l’indicateur mondial se maintient dans la zone faible, mais en hausse.

Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)


Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
 
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

Note de lecture : Les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).

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1 Bloomberg et LOIM, 10 octobre 2025. Uniquement à titre indicatif.
2 Bloomberg et LOIM, 10 octobre 2025. Uniquement à titre indicatif.
3 Bloomberg et LOIM, 10 octobre 2025. Uniquement à titre indicatif.

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