L’incertitude peut revêtir de nombreuses formes différentes. Elle peut découler du bruit de fonds à court terme émanant des données économiques (par exemple, une croissance inférieure aux prévisions ou un manque de clarté quant aux conséquences des tensions commerciales), mais aussi de transformations structurelles beaucoup plus profondes qui façonnent les économies et les marchés sur plusieurs décennies. Fondamentalement, l’incertitude est un symptôme du changement qu’un système économique s’efforce d’absorber, à mesure que les agents économiques s’y adaptent. Cette notion est liée à l’image du cheval à bascule de Plosser1, une métaphore illustrant les fluctuations des économies qui s’adaptent à de nouveaux points d’équilibre avant de retrouver leur stabilité. Si certains changements sont nécessaires (par exemple, le contrôle de la trajectoire de la dette), d’autres nous sont imposés (par exemple, l’incidence de l’intelligence artificielle sur l’emploi).
Parmi les facteurs de changement actuels, l’évolution démographique se démarque. Au cours des prochaines années, la population mondiale augmentera à un rythme plus lent, tout en vieillissant. Cette évolution lente mais inéluctable redéfinira les comportements en matière d’épargne, de consommation et d’investissement dans le monde entier.
Dans les années 2000, Campbell et Viceira ont publié un ouvrage de référence2 sur la composition optimale d’un portefeuille en fonction de la durée d’épargne, une théorie qui pourrait nous permettre de mieux comprendre et d’anticiper la situation à venir. Cette semaine, Simply put s’associe à notre équipe quantitative pour aborder ce sujet crucial et explorer le lien entre démographie et évolution de la population.
Dans notre tout premier webinar Simply put en direct, nous avons exploré le thème du revenu et de la démographie.
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Le tournant démographique à l’ordre du jour
Nous avons consacré une grande partie de l’année à analyser les conséquences à moyen terme de la guerre commerciale, ce qui, avouons-le, s’est en grande partie avéré vain. D’autres enjeux, bien plus pressants, requièrent notre attention. L’un d’entre eux : l’évolution démographique qui se déroule sous nos yeux. Cette transformation est double.
Selon les dernières prévisions en date du FMI, le taux de croissance de la population mondiale devrait fortement ralentir, passant d’environ 1,5% au cours des trois dernières décennies à seulement 0,9% au cours des cinq prochaines années. Ce recul est encore plus marqué dans les économies développées, où le taux de croissance a diminué de moitié de 0,6% à 0,3%. Cela n’est pas seulement dû à la baisse du nombre de naissances : la population vieillit rapidement et la longévité augmente. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au Japon, les personnes âgées de 65 ans et plus représentent déjà près de 30% de la population. L’Allemagne se situe à environ 23%, tandis que la Chine, autrefois symbole de la vitalité démographique, a aujourd’hui dépassé le seuil des 15%.
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Ce qui était autrefois un défi propre au Japon est devenu une réalité mondiale, redéfinissant les marchés de l’emploi, les finances publiques et la structure même de l’épargne des ménages. La figure 1 illustre ces mutations dans différents pays et met en exergue un point crucial : cette évolution démographique est désormais un phénomène planétaire. Les économistes ont examiné ses nombreuses dimensions (de ses effets potentiels sur l’inflation à son incidence sur les comportements en matière d’épargne et sur la dynamique de la dette), sans parvenir pour l’instant à un véritable consensus.
Selon nous, ces profondes transformations engendreront probablement une réorientation durable de la demande en faveur de la stabilité et du revenu, des caractéristiques qui pourraient progressivement redéfinir les portefeuilles mondiaux et, en définitive, la façon dont nous les concevons et les gérons en tant que gestionnaires d’actifs.
GRAPHIQUE 1. Croissance démographique annualisée et indicateurs du vieillissement3
Campbell et Viceira l’avaient prévu
S’il n’existe guère de consensus parmi les économistes, il nous semble que le raisonnement de Campbell et Viceira est particulièrement pertinent. Leurs travaux ont examiné l’évolution des préférences des investisseurs en matière de risque en fonction de leur âge, ainsi que l’influence de cette évolution sur la composition optimale des portefeuilles au fil du temps.
En 2000, Campbell et Viceira avaient anticipé un grand nombre des conséquences financières du vieillissement démographique. Leur cadre d’analyse avait démontré qu’avec l’âge, la capacité des personnes (et, par extension, de l’ensemble de l’économie) à assumer le risque diminue, tandis que la nécessité de percevoir un revenu stable augmente. Pour cette raison, au sein de leurs portefeuilles, les investisseurs de long terme devraient progressivement privilégier des stratégies plus équilibrées et axées sur le revenu, en s’appuyant davantage sur les allocations obligataires que sur les allocations exclusives aux actions, ainsi que sur les actions versant des dividendes et les actifs réels présentant des cash flows plus prévisibles. Les auteurs ont également souligné qu’il était important d’envisager un horizon d’investissement de longue durée et d’apporter des ajustements intergénérationnels au sein des portefeuilles, concepts résonnant fortement avec la dynamique macrofinancière actuelle.
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La figure 2 illustre leur argumentaire en représentant la diversification sous deux angles :
- d’un point de vue transversal, la combinaison d’actifs qui ne sont pas parfaitement corrélés (tels que les actions et les obligations) permet d’atténuer le risque du portefeuille total
- d’un point de vue temporel, la détention d’actifs plus risqués pendant plus longtemps favorise la diversification, en combinant les périodes défavorables avec les périodes plus favorables.
Une illustration élémentaire de cet effet de « diversification temporelle » consiste à représenter graphiquement la volatilité de la classe d’actifs en fonction de la période de détention. Comme l’indique la figure 2, sur un horizon d’investissement de 20 ans, les actions et les obligations présentent à peu près la même volatilité. Au sein d’une population jeune, la détention d’actions semble très attractive : la capacité à assumer une volatilité à court terme permet aux investisseurs de réaliser des rendements à long terme souvent supérieurs à ceux des obligations. Au sein d’une population vieillissante, en revanche, la situation est radicalement différente. Un horizon d’investissement perçu comme plus court incite à privilégier la sécurité du revenu plutôt que l’appréciation du capital, même si cette dernière offre une rentabilité attendue plus élevée.
FIG 2. Volatilité annualisée de la classe d’actifs en fonction de la période de détention4
Les observations perspicaces de Campbell et Viceira tombent à point nommé : avec le vieillissement démographique, la préférence collective passe de plus-values risquées à des cash flows stables. En ce sens, l’incertitude démographique actuelle n’est pas un choc aléatoire, mais une boussole structurelle. Les marchés évoluent de concert avec la société et, à mesure que la population mondiale vieillit, la construction de portefeuilles doit elle aussi s’adapter, en mettant l’accent non plus sur la croissance, mais sur un revenu régulier, par le biais de coupons et de dividendes.
Cette logique sous-jacente pourrait expliquer pourquoi les rendements sont restés aussi faibles pendant si longtemps au Japon : une société vieillissante préfère naturellement la sécurité et le revenu à la volatilité et la croissance. Le message est donc clair : ne passons pas à côté de cette opportunité de génération de revenus née de la transformation structurelle qui se déroule sous nos yeux.
Implications en matière d’investissement pour les investisseurs multi-actifs
La hausse des cours est l’une des principales sources de performance de toute stratégie d’investissement, mais ce n’est pas la seule. Nous investissons également sur divers marchés afin de bénéficier des avantages du portage et de la diversification, deux éléments cruciaux pour une performance plus stable dans le temps. Pour gérer les conditions incertaines d’aujourd’hui, au moment où les valorisations et le momentum peuvent envoyer des signaux contradictoires, il est essentiel de trouver le bon équilibre entre ces trois composantes (tendances des cours, portage et diversification). Dans ce contexte, maintenir une allocation soigneusement diversifiée en termes de styles, de régions et de classes d’actifs s’avère plus important que jamais.
Cette approche est d’autant plus pertinente que le vieillissement de la population mondiale oriente progressivement la demande des investisseurs vers la stabilité, le revenu et la préservation du capital plutôt que vers la seule croissance. Dans ces conditions, les overlays de portage, conçus pour garantir des sources de revenu régulières, complètent la recherche d’expositions au risque équilibrées et permettent de mieux résister au changement des cycles de marché. En définitive, l’association de ces éléments aide les investisseurs à construire des portefeuilles non seulement plus robustes face aux mutations démographiques et macroéconomiques, mais également mieux placés pour s’adapter au monde complexe, à plusieurs vitesses, qui nous attend.
En d’autres termes, Simply put, l’évolution démographique pourrait engendrer une préférence accrue et durable pour le revenu, une tendance que les investisseurs auraient tort de négliger.
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Indicateurs macro/en temps réel
Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.
Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :
- nos signaux de croissance sont restés constants dans toutes les régions, se situant à un niveau faible, mais en hausse
- l’indicateur d’inflation a augmenté dans la zone euro en raison d’une activité accrue dans le secteur, mais est resté stable dans les autres régions
- l’indicateur de politique monétaire en temps réel a légèrement augmenté, se maintenant à un niveau faible, mais en hausse.
Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Note de lecture : Les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).