Près de six ans après l’adoption de son premier Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), la Commission européenne a publié une proposition de version révisée (SFDR 2.0) très attendue le 20 novembre 2025. Les modifications visent à simplifier les règles de transparence pour les produits financiers liés à la durabilité et annoncent un ensemble d’exigences minimales destinées à faciliter les comparaisons, tout en continuant à mettre l’accent sur la protection des investisseurs finaux.
Moins de publications, plus de preuves
Le SFDR était conçu à l’origine comme un régime de publication visant à aider les investisseurs à flécher des fonds vers les investissements durables. L’un des principaux objectifs consistait à protéger les investisseurs finaux contre le greenwashing en garantissant que les déclarations en matière de durabilité reposaient sur des informations claires et comparables. Cependant, dans la pratique, ce régime a instauré des exigences de publication complexes et sans définition claire, que les acteurs du marché ont interprétées différemment. En conséquence, la réglementation n’a pas pleinement atteint ses objectifs de comparabilité, notamment pour les investisseurs de détail.
La proposition formulée par la Commission pour un SFDR 2.0 représente un changement d’approche majeur puisqu’elle passe à un régime de catégorisation fondé sur un ensemble minimum de critères communs, qui s’appuie sur des lignes directrices claires concernant le type d’investissements éligibles par catégorie.
Le SFDR 2.0, dans la continuité du SFDR 1.0, permet aux fonds de déterminer eux-mêmes leur catégorie et de s’auto-certifier, sous la supervision des autorités de réglementation nationales. Il est donc très différent du régime d’étiquetage des Exigences de publication d’informations en matière de durabilité britanniques (Sustainability Disclosure Requirement, SDR).
Dans l’ensemble, la proposition prévoit une simplification et une réduction des exigences de publication tout en renforçant l’obligation de s’appuyer sur des données probantes pour formuler des déclarations liées à la durabilité.
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Notre opinion
La proposition de Niveau 1 récemment publiée devra encore passer par les procédures législatives ordinaires, et pourrait donc être fortement amendée. Il lui faudra s’appuyer sur une refonte des mesures de Niveau 2, qui préciseront comment le SFDR sera mis en œuvre. Cependant, voici nos perspectives initiales sur la proposition en l’état actuel.
Pour lire un résumé de la dite proposition, cliquez sur le bouton situé à la fin de chaque sujet.
Catégories de produits et critères sous-jacents
La catégorie « transition » de l’article 7 est un ajout crucial. Nous apprécions l’apparition de cette catégorie, qui reflète les tendances actuelles du marché en matière d’investissement dans la transition durable ainsi que notre propre conviction en tant que société. En ce qui concerne les types d’investissements éligibles suggérés dans la proposition, nous sommes particulièrement favorables à l’accent placé sur le terme « crédible », qui repose sur une philosophie d’investissement fondée sur des preuves, ainsi qu’à la mention explicite d’un « objectif de transition crédible fixé au niveau du portefeuille ».
Le durcissement des critères de la catégorie « ESG de base » de l’article 8 est une bonne chose. Cette catégorie rassemble des produits qui intègrent différentes philosophies d’investissement ESG. Nous saluons le durcissement des critères de qualification dans leur ensemble et nous espérons que les mesures de Niveau 2 éclaireront la mise en œuvre de certains d’entre eux et éviteront la création d’une option d’investissement éligible « fourre-tout », qui continue de nous inquiéter.
Les exclusions obligatoires offrent un ensemble minimum d’exigences qui facilite les comparaisons mais risque de causer des problèmes pour les secteurs aux émissions intrinsèquement élevées. La décision d’intégrer des exclusions de base aux différentes catégories est un pas dans la bonne direction, car elle garantit des exigences minimales claires et comparables. La proposition dépasse le projet initial qui avait fuité, en affichant une ambition nettement plus élevée. Elle ajoute l’exclusion des sociétés associées au charbon thermique, sans plans crédibles pour leur élimination progressive, ainsi que des sociétés associées à l’expansion des activités liées aux combustibles fossiles dans la catégorie « transition ».
En l’état actuel des choses, la mise en œuvre pratique de cette proposition pourrait provoquer une exclusion généralisée du secteur de l’énergie, sans distinction entre des sous-secteurs tels que le pétrole par rapport au gaz. Nous sommes fermement convaincus que tous les secteurs doivent participer à la transition vers une économie décarbonée, même ceux dont les émissions sont élevées. Nous estimons qu’au lieu d’approches construites sur des exclusions, une approche prospective de la transition, qui s’appuie sur des données fondées sur des éléments de preuve et crédibles, est indispensable pour contribuer à une réelle décarbonation de l’ensemble de l’économie.
Trois nouvelles catégories remplaceraient les classifications actuelles des articles 6, 8 et 9, fondées sur les publications :
Catégorie « transition » (article 7)
Produits conçus pour permettre l’allocation de capitaux dans des sociétés et/ou des projets qui ne sont pas encore totalement durables, mais s’inscrivent sur une trajectoire crédible vers la durabilité, ou dans des investissements qui contribuent à des améliorations de la transition vers la durabilité. Cette catégorie « transition » peut porter sur des objectifs environnementaux, sociaux, ou les deux à la fois.
Catégorie « ESG de base » (article 8)
Produits qui intègrent diverses philosophies d’investissement ESG mais ne remplissent pas les critères permettant une classification dans les catégories « durable » ou « transition ». Elle pourrait par exemple inclure des stratégies se concentrant sur les éléments best-in-class sur certaines mesures ESG.
Catégorie « durable » (article 9)
Produits contribuant à des objectifs de durabilité, tels que les objectifs climatiques, environnementaux ou sociaux. Cette catégorie comprend les investissements dans des entreprises ou des projets qui satisfont déjà à des normes de durabilité élevées.
Article 6a pour les produits non catégorisés
Il s’agit de produits pour lesquels les informations en matière de durabilité sont par nature secondaires. Ils sont soumis à des règles de commercialisation strictes.
Seuil d’alignement minimum. Au moins 70% des investissements doivent être alignés sur l’objectif fixé au regard de la catégorie du produit (ou bien le seuil de 15% d’alignement de la Taxonomie de l’UE fixé pour les fonds axés sur l’environnement).
Exclusions obligatoires. Une liste d’exclusions en fonction de la catégorie du produit est obligatoire. Elle s’appuiera sur l’indice de référence « transition climatique » et l’indice de référence « accord de Paris ».
Pour les trois catégories, les exclusions doivent couvrir les domaines suivants :
- Armes controversées : les sociétés impliquées dans la production ou dans des activités liées aux armes controversées sont exclues
- Tabac : les sociétés impliquées dans la culture ou la production de tabac sont exclues
- Violation des principes du Pacte mondial/de l’OCDE : les sociétés qui ne respectent pas les principes du Pacte mondial des Nations Unies ou les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les entreprises multinationales sont exclues
- Charbon : les sociétés qui tirent au moins 1% de leur chiffre d’affaires de l’exploration, de l’exploitation minière, de l’extraction, de la distribution ou du raffinage du charbon et du lignite sont exclues.
La catégorie « transition » comprend également les exclusions obligatoires suivantes :
- Sociétés qui : (i) développent de nouveaux projets pour l’exploration, l’extraction, la distribution ou le raffinage de charbon et de lignite ou de combustibles à base de pétrole ou de gaz ; (ii) développent de nouveaux projets pour l’exploration, l’exploitation minière, l’extraction, la distribution, le raffinage ou l’exploitation de charbon ou de lignite pour la production d’électricité, ou ne disposent pas d’un plan de suppression progressive
La catégorie « durable » comprend également les exclusions obligatoires suivantes :
- Sociétés qui : (i) développent de nouveaux projets pour l’exploration, l’extraction, la distribution ou le raffinage de charbon et de lignite ou de combustibles à base de pétrole ou de gaz ; (ii) développent de nouveaux projets pour l’exploration, l’exploitation minière, l’extraction, la distribution, le raffinage ou l’exploitation de charbon ou de lignite pour la production d’électricité, ou ne disposent pas d’un plan de suppression progressive
- Investissements dans des sociétés du secteur des combustibles fossiles qui tirent
- au moins 1% de leur chiffre d’affaires du charbon/du lignite (exploration, exploitation minière, etc.)
- au moins 10% de leur chiffre d’affaires des combustibles à base de pétrole (exploration, extraction, etc.)
- au moins 50% de leur chiffre d’affaires des combustibles gazeux (exploration, extraction, etc.).
- Investissements dans des sociétés de production d’électricité : qui tirent au moins 50% de leur chiffre d’affaires de la production électricité avec une intensité de GES supérieure à 100 g de CO2e/kWh
Types d’investissements éligibles. Une liste de types d’investissements éligibles permettant de préserver la clarté et l’intégrité de la classification des produits.
L’inclusion de l’incidence est une bonne chose, mais elle doit être clarifiée. Même si l’inclusion d’éléments concernant l’incidence est une bonne chose, le fait qu’elle soit présentée comme une publication « complémentaire » nous préoccupe. En effet, elle limite la reconnaissance et la clarté concernant les stratégies d’impact. Nous souhaiterions l’ajout de garde-fous plus solides afin de définir ce qui peut être correctement décrit comme un produit à incidence positive.
Malgré l’absence de catégorie dédiée à l’impact investing dans le nouveau cadre, un « produit financier lié à la durabilité avec une incidence positive » est défini et reconnu dans les catégories « transition » et « durable », avec un niveau d’exigence complémentaire. Des exigences de publication et de nomenclature particulières concernant l’incidence s’appliqueront.
L’alignement de 70 % des investissements sur l’objectif particulier de la catégorie de produit est un ajout positif. L’introduction d’un seuil quantitatif clair devrait permettre d’améliorer les possibilités de comparaison des gérants de fonds et correspond bien aux règles britanniques et suisses. La transparence dont feront preuve les gérants de fonds concernant la mesure de cette proportion sera importante pour que les investisseurs finaux puissent les comparer plus facilement. Nous comprenons également l’ambition globale de la Commission d’utiliser la Taxonomie de l’UE. Nous observons cependant que celle-ci est actuellement en révision dans le cadre plus large du train de mesures Omnibus visant à simplifier les exigences de publication d’informations des entreprises de l’UE en matière de durabilité. Nous nous interrogeons donc sur le nombre réel de stratégies de marché cotées qui pourraient tirer parti de l’option d’un alignement à 15 % sur la taxonomie, plutôt que de devoir respecter le seuil de 70 %.
La durabilité en tant qu’objectif d’investissement devra être clairement définie. Etant donné que la précédente définition d’un « investissement durable » a été retirée, les catégories « transition » et « durable » proposées se concentrent avant tout sur la notion de contribution pour la définition de leurs objectifs de durabilité. Nous estimons qu’un cadre solide et crédible destiné à l’évaluation d’une telle contribution est essentiel pour garantir la cohérence et l’intégrité entre les produits. En outre, ce cadre devrait être complété par une évaluation globale de l’investissement visant à garantir ses fondations solides concernant une éventuelle incidence négative et les principes de bonne gouvernance.
La définition de l’« investissement durable » a été supprimée du cadre révisé. Néanmoins, la réglementation comprend encore les concepts sous-jacents de la définition (à savoir, la contribution, « ne pas causer de préjudice important » et la bonne gouvernance), même sous une forme simplifiée, dans les exigences prescrites pour chaque catégorie de produit.
La simplification du principe consistant à « ne pas causer de préjudice important » renforce la flexibilité. Les nouvelles exigences visant à garantir l’absence de préjudice prévoient une approche comparable qui s’appuie sur un ensemble fondamental d’exclusions, associé à l’obligation de continuer à publier les principales incidences négatives au niveau des produits (même si de façon simplifiée). La flexibilité offerte entre utiliser les principales incidences négatives selon leur définition actuelle ou choisir d’autres indicateurs, voire réaliser une évaluation qualitative si elle est plus appropriée pour les incidences identifiées, est une proposition bienvenue qui, en plus de faciliter la comparaison, permet de se concentrer sur les éléments qui comptent vraiment pour la stratégie d’investissement.
La simplification du principe de « ne pas causer de préjudice important » dans le cadre révisé repose sur un ensemble commun d’exclusions minimales. Le bouton ci-dessus contient la liste des exclusions.
Pour les catégories de produits de l’article 7 (« transition ») et de l’article 9 (« durable »), ces exclusions sont complétées par le recours à des indicateurs des principales incidences négatives.
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La simplification des exigences de publication est salutaire. La publication annuelle des principales incidences négatives au niveau des entités ne permettait pas de comparaison et n’avait qu’une utilité limitée pour les investisseurs finaux alors qu’elle entraînait des difficultés opérationnelles considérables. Le retrait de cette exigence est une bonne chose. Par ailleurs, les publications simplifiées au niveau des produits devraient permettre des économies à long terme. Cela dit, compte tenu de l’effet opérationnel initial, les acteurs du marché auront besoin que les textes législatifs d’application soient publiés rapidement. Il est donc important que le texte proposé pour le Niveau 2 soit publié sans délai afin de donner aux acteurs une visibilité complète sur les changements opérationnels à venir.
Le cadre révisé supprime l’exigence de publication des principales incidences négatives au niveau des entités. De plus, les publications au niveau des produits ont été réduites, raccourcies et simplifiées avec l’introduction de catégories de produits.
La cohérence avec les autres réglementations de l’UE sera fondamentale. Nous notons que les conseillers financiers et les gérants de portefeuilles ont été supprimés du cadre du SFDR 2.0. Toutefois, ces acteurs restent sous la coupe de la directive MiFID II, par exemple à travers l’exigence de collecte des préférences de leurs clients en matière de durabilité. Il faudra donc aligner la portée et les exigences des différentes réglementations de l’UE en matière de finance durable et leurs calendriers d’entrée en vigueur devront être harmonisés pour garantir une cohérence réglementaire et une mise en œuvre efficace.
Projet en cours
Pour la prochaine étape du processus, la Commission européenne élaborera et publiera des règles précisant les détails opérationnels et techniques qui étaieront la réglementation révisée.
Compte tenu des discussions en cours entre la Commission européenne, le Parlement et le Conseil, le texte réglementaire final du SFDR 2.0 devrait être prêt d’ici à la fin 2026. La date la plus réaliste pour l’entrée en vigueur de la réglementation révisée serait probablement fin 2028, au plus tôt.
Lombard Odier Investment Managers continue de suivre l’évolution de la réglementation de la finance durable et surveillera de près ces changements.
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