Totalisant plus de USD 11’000 milliards1, les marchés privés ne représentent encore qu’une fraction de la taille des marchés publics. Pourtant, ils sont de plus en plus considérés comme une source prometteuses d'opportunités d'investissement durable, souvent plus attractives que les marchés publics notamment pour les solutions d’investissement à faibles émissions de carbone. Les marchés privés affichent également une croissance bien plus rapide que celle des marchés publics, offrent une perspective à plus long terme et permettent d’investir plus facilement dans les innovations durables à un stade de développement précoce.
Tel était le message adressé aux investisseurs lors du sommet Building Bridges 2025 à Genève, où Jean-Pascal Porcherot, Associé-gérant de Lombard Odier et Coresponsable de Lombard Odier Investment Managers s’est joint à des figures majeures du monde de la finance durable autour d’une table ronde intitulée « Marchés privés : des capitaux décisifs pour une décennie décisive ».
Ensemble, Jean-Pascal Porcherot, Marion Leslie, Head of Financial Information chez SIX Group, Emmanuel Jaclot, Executive Vice-President et Head of Infrastructure and Sustainability à La Caisse, Rupert Robinson, Managing Director chez Gresham House, et Sophie Gioanni, Head of Investor Relations chez ILX Management, ont mis l’accent sur l’importance croissante des marchés privés dans l’investissement durable et souligné un point qui est rapidement devenu un thème central du sommet : la finance durable doit, avant tout, générer des rendements financiers.
La transition intervient à travers les changements systémiques
Jean-Pascal Porcherot a commencé par décrire les changements profonds qui s’opèrent dans notre économie. « Nous pensons que la transition environnementale se fera à travers trois changements systémiques principaux, à savoir l’énergie, la nature et les matériaux », a-t-il déclaré.
« En ce qui concerne l’énergie, nous devons électrifier l’économie. Nous estimons que 70% de nos besoins en énergie seront couverts par l’électricité d’ici à 2050 et que 80% de cette électricité proviendra de sources renouvelables2. Pour ce qui est de la nature, qui est essentielle pour nourrir la population, nous devons nous orienter vers des pratiques agricoles régénératrices et des chaînes de valeur résilientes. Enfin, dans le domaine des matériaux, nous devons abandonner l’extraction des matières premières au profit de modèles d’affaires circulaires. Bien sûr, les secteurs difficiles à décarboner comme l’acier, l’aluminium et le plastic seront touchés. »
Il a poursuivi : « Dans notre système énergétique, les énergies renouvelables et l’infrastructure attirent beaucoup de capitaux. En revanche, il existe un déficit de financement en ce qui concerne la nature et les matériaux. C’est là que les marchés privés peuvent jouer un rôle essentiel. Cependant, obtenir un impact positif ne suffira pas pour développer les solutions dont nous avons besoin. Les rendements financiers constituent un aspect essentiel. »
« Nous pensons que la transition environnementale se fera à travers trois changements systémiques principaux, à savoir l’énergie, la nature et les matériaux ». - Jean-Pascal Porcherot, Associé-gérant de Lombard Odier
La nature, « une classe d’actifs majeure »
« Chez Lombard Odier, nous sommes convaincus que la nature deviendra une classe d’actifs d’importance majeure, », a ajouté Jean-Pascal Porcherot. « Il faut savoir que la nature absorbe environ la moitié du CO2 rejeté chaque année par les activités humaines, soit l’équivalent de 10-12 gigatonnes3. Cette situation ne peut toutefois perdurer si nous continuons à détruire nos écosystèmes et à appauvrir la biodiversité. »
Prenant la parole au nom de Gresham House, Rupert Robinson a poursuivi sur ce thème. « De notre point de vue, la nature est une classe d’actifs en devenir » a-t-il commencé. « Nous devons nous mettre à la place des allocataires d’actifs. Les fonds de pension, par exemple, ont des responsabilités fiduciaires, notamment la nécessité d’offrir des rendements financiers. »
Il a cité un exemple concret illustrant comment atteindre ce but : « nous avons créé une proposition d’investissement institutionnel visant à obtenir un gain net de biodiversité, inspirée de la législation du Royaume-Uni. Nous avons dû déterminer quel était le rendement approprié pour les investisseurs. Nous nous sommes posé la question suivante : pouvons-nous prendre une classe d’actifs, la structurer sur une longue durée, avec les caractéristiques de rendement adéquates, puis la proposer aux clients sous forme de solution clé en main ? »
Marchés émergents et « Sud global »
Au fur et à mesure de l’évolution de l’investissement fondé sur la nature, de nombreuses opportunités pourraient émerger du « Sud global », a expliqué Jean-Pascal Porcherot. « Quand vous développez une offre institutionnelle, vous êtes confronté à de nombreux obstacles, et vous devez sortir des sentiers battus », a-t-il déclaré. « Nous nous concentrons sur le café. Nous avons pour objectif d’acheter des terres dans le "Sud global" afin de faire évoluer la production de café vers des pratiques régénératrices. »
« Cependant, de nombreux investisseurs institutionnels restent prudents vis-à-vis des investissements sur les marchés émergents. Il est donc nécessaire de limiter les risques », a-t-il poursuivi. « Par exemple, il est possible de louer les terres au lieu de les acheter, ou de collaborer avec l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Multilateral Investment Guarantee Agency ou MIGA), qui offre, dans le cadre de la Banque mondiale, une garantie couvrant le risque d’expropriation. Nous avons également comme objectif de nouer des partenariats avec des acheteurs afin de garantir les revenus, de manière à réduire le taux de rendement interne (TRI), nécessaire pour rassurer les investisseurs. Il faut établir le dialogue avec les investisseurs dès le début. »
Sophie Gioanni a souligné l’importance de sensibiliser les investisseurs à la différence entre le « risque perçu et le risque réel » lié à l’investissement sur les marchés émergents. Les investisseurs craignent souvent « l’instabilité politique, les fluctuations de change ou l’incapacité à faire respecter les documents juridiques », a-t-elle déclaré. Cependant, « avec les prêts structurés des banques multilatérales de développement (BMD), par exemple, nous avons constaté que les taux de défaillance et de recouvrement sont intéressants ».
En savoir plus : Renaissance de la nature : une opportunité d’investissement dans les actifs réels.
Collaboration sur le terrain
S’inscrivant dans le thème central de Building Bridges, qui consiste à favoriser la collaboration entre les secteurs et les régions, Sophie Gioanni a expliqué qu’investir dans le « Sud global » nécessite des partenariats locaux solides. « Il est difficile pour un fonds de pension au Canada, par exemple, de trouver des opportunités fiables, car il n’a pas de présence sur le terrain. Il faut connaître les autorités locales. Il existe de nombreuses opportunités, telles que les entreprises agricoles, les parcs solaires, les investissements par l’intermédiaire d’institutions financières locales, qui offrent un rapport risque/rendement attractif, mais il faut trouver les bons partenaires locaux. » Elle a conclu en soulignant un point crucial : « Nous avons également besoin de la collaboration des régulateurs afin qu’ils ne pénalisent pas les investisseurs sur les marchés émergents. »
Jean-Pascal Porcherot a réagi à cet appel. « Les partenariats sont absolument essentiels pour disposer d’un environnement réglementaire stable qui favorise l’innovation et réduit les risques. Nous devons également rester en contact étroit avec le monde universitaire pour comprendre les voies scientifiques qui mènent à la transition vers la durabilité. Nous avons par exemple signé un partenariat avec E4S4 en vue de mener des recherches sur les modèles économiques circulaires. »
« Les partenariats sont absolument essentiels pour disposer d’un environnement réglementaire stable qui favorise l’innovation et réduit les risques ». – Jean-Pascal Porcherot, Associé-gérant de Lombard Odier
« Et nous devons travailler en étroite collaboration avec les entreprises. Lorsque nous avons lancé un fonds dédié à la circularité du plastique, nous nous sommes associés à l’Alliance pour l’élimination des déchets plastiques. Nous avons ainsi accès à 70 entreprises tout au long de la chaîne de valeur du plastique. Cela fait de nous de meilleurs investisseurs, car nous comprenons mieux les risques et la viabilité des entreprises qui pourraient intégrer notre portefeuille. De plus, nous pouvons aider les entreprises dans lesquelles nous investissons à gagner en notoriété commerciale, à ouvrir des portes et à recruter des collaborateurs de qualité. Les investisseurs ne se limitent pas nécessairement à apporter des fonds. »
Un appel à l’action
Pour conclure la table ronde, la modératrice Marion Leslie a posé une question simple : « Quelles mesures les investisseurs devraient-ils prendre dès maintenant ? »
Sophie Gioanni a répondu : « Les investisseurs ne peuvent pas prendre une décision en se basant uniquement sur la durabilité. Ils ont besoin de données, de preuves tangibles de ce dans quoi ils investissent, d’une évaluation des risques et des rendements, afin de pouvoir les comparer à l’indice de référence de la classe d’actifs. Pour investir dans le « Sud global », il faut rechercher des partenaires fiables, puis analyser les données, avant de prendre une décision. »
Emmanuel Jaclot a également souligné l’intérêt d’investir sur les marchés émergents. « Trop d’investisseurs institutionnels ont des politiques qui leur interdisent d’investir dans le "Sud global". Vous devez élargir votre horizon vers le "Sud global". Au cours de cette décennie, la diversification portera ses fruits. Ouvrez donc vos politiques d’investissement aux marchés émergents. »
Jean-Pascal Porcherot a acquiescé : « Soyez audacieux. Investissez dans le "Sud global". Et focalisez-vous sur la nature. » « Discutez avec les allocataires d’actifs. Ce serait formidable de les convaincre d’allouer 2% à la nature. Un grand nombre de ces fonds sont des fonds lancés pour la première fois, et il est clair que beaucoup de gestionnaires préfèrent attendre le deuxième ou le troisième fonds. Mais il faut faire confiance aux nouveaux fonds. C’est ainsi que nous ferons la différence », a-t-il conclu.
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