Droits de douane, croissance et inflation : quelles leçons pouvons-nous tirer de 125 ans d’histoire économique ?

Florian Ielpo, PhD - Head of Macro, Multi Asset
Florian Ielpo, PhD
Head of Macro, Multi Asset

points clés.

  • Dans la première partie d’une analyse en deux volets de l’incidence des droits de douane sur l’inflation et la croissance, nous nous penchons sur 125 ans d’histoire économique
  • Notre analyse compare les effets de droits de douane américains élevés, par exemple les 30% en vigueur en 1900, avec ceux de hausses plus modérées, comme les 2% de 2018
  • Nous examinons également les répercussions sur l’inflation et la croissance de droits réciproques ou de droits unilatéraux imposés par différents pays sur des biens spécifiques.

Deux sujets sont actuellement au centre des préoccupations des investisseurs. Premièrement, la progression des valeurs technologiques non américaines, qui remet en question la dominance des Sept Magnifiques depuis quelques années. Deuxièmement, l’éclatement de la guerre commerciale, alors que le nouveau gouvernement Trump tente de réduire le déficit commercial des Etats-Unis. Pour de bonnes raisons, le deuxième sujet domine l’actualité des économistes, qui s’attaquent à l’écart entre les conséquences perçues et réelles de la hausse des droits de douane américains. 

La perception est simple : si les Etats-Unis imposent des droits de douane sur les importations américaines, celles-ci deviendront plus chères auprès des consommateurs et entreprises du pays, ce qui fera augmenter l’inflation. Pourtant, en 2018, les droits de douane n’ont pas affecté les chiffres officiels de l’inflation (ce que le gouvernement Trump ne manque pas de rappeler). Le débat peut être envisagé sous deux angles : nous pouvons analyser l’histoire passée afin de déterminer si, en règle générale, la hausse des droits de douane fait systématiquement augmenter l’inflation, ou bien nous pouvons examiner de façon détaillée comment Donald Trump a précédemment mis ses droits de douane en œuvre. 

Dans la première partie de cette analyse en deux volets, nous explorons l’application des droits de douane au cours des 125 dernières années.

Une brève histoire des droits de douane

A la fin du XVIIIe siècle, les Etats-Unis ont tenté l’expérience des droits de douane d’une façon qui rappelle le contexte actuel. A cette époque, le pays était à la veille de l’industrialisation et de la construction des chemins de fer, et les avancées technologiques réalisées en Europe freinaient son secteur industriel. Les Républicains ont alors décidé d’imposer des droits de douane significatifs sur les importations, notamment en provenance d’Europe, commençant par 10% au début du XIXe siècle et dépassant 50% au milieu du siècle. 

Les Républicains privilégiaient les droits de douane aux dépens des impôts, craignant que des taxes directes ne nuisent à l’économie américaine émergente. Ils ont donc préféré collecter des recettes directement auprès des partenaires commerciaux, afin de réorienter la charge fiscale vers les consommateurs et les entreprises étrangères. Ce double impact fut déterminant dans l’élaboration du Tariff Act de 1789. Ses répercussions ont été considérables : les droits de douane représentaient alors près de 90% des recettes du Trésor américain. Ils ont été maintenus à ces niveaux élevés jusqu’à la fin du XIXe siècle, après quoi les Démocrates, sous la houlette de Woodrow Wilson, ont mis fin au régime en promulguant l’Underwood Act de 1913. 

Le graphique 1 montre l’évolution des droits de douane mis en œuvre depuis 1900 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France, permettant ainsi de comparer ces trois économies développées dans le temps. Nous constatons que, dans les trois pays, les droits de douane n’ont pas augmenté de manière significative depuis les années 1950. Les droits de douane mis en œuvre par Donald Trump en 2018 n’ont fait augmenter le taux effectif que de 2%, ce qui explique en partie leur incidence modérée sur l’inflation intérieure à cette époque. 

Lire aussi : Les tarifs douaniers de Donald Trump : une politique inflationniste ?

Toutefois, une période se démarque par une hausse plus importante et simultanée des droits de douane. Durant les années 1930, les droits de douane américains ont augmenté de 5% à 20% (et même plus pour un groupe spécifique de produits importés). La France et le Royaume-Uni ont répondu par des mesures décisives. Franklin Roosevelt a fini par inverser cette tendance dans le cadre de son « New Deal », ramenant le pays sur la voie du libre-échange, dans le contexte de ce qui allait devenir l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, un consensus multinational qui a mené à la création de l’Organisation mondiale du commerce. Jusqu’en 2018, cette phase de l’histoire économique semblait solidement établie.

GRAPHIQUE 1. Taux effectif des droits de douane entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, 1900-20241

Qu’en est-il de l’inflation ?

Que nous enseigne l’histoire quant à l’incidence des droits de douane sur l’inflation ? Parallèlement, pouvons-nous faire la différence entre les répercussions d’une hausse unilatérale des droits de douane et celles d’une série de hausses multilatérales (c’est-à-dire une véritable guerre commerciale) ? Le graphique 2 estime l’incidence de ces situations sur l’inflation aux Etats-Unis, en isolant d’une part la réaction immédiate à la hausse des droits de douane (sur une échelle annuelle) et d’autre part l’évolution subséquente de l’inflation. 

GRAPHIQUE 2. Réaction de l’inflation américaine à la hausse des droits de douane, 1900-20242

Lire aussi : Augmentation des droits de douane américains : les gagnants et les perdants

Nous tirons les principales conclusions suivantes de notre analyse :

  • Une légère hausse des droits de douane, d’environ 1% à 2% (semblable à celle mise en œuvre en 2018), produit un effet semblable sur l’inflation. Mais si elle déclenche des droits de douane réciproques de la part des partenaires commerciaux, l’effet inflationniste est soit atténué (si la riposte survient l’année suivante) soit annulé (si la riposte est immédiate). Dans tous les cas, il s’agit d’un effet à court terme, comme le montre le graphique 2B
  • Historiquement, une hausse plus importante des droits de douane, au-delà de 2%, a fait diminuer l’inflation, tant durant l’année de mise en œuvre que durant les trois années suivantes. L’inflation diminue en moyenne de 1% la première année, puis de plus de 3% durant les années suivantes.
     

Le point crucial est que, au-delà d’un certain niveau, les droits de douane tendent à avoir un effet récessionniste, faisant diminuer l’inflation à mesure de la détérioration de la croissance. Cet effet est encore plus prononcé lorsque les droits de douane sont réciproques, dans le cadre d’une guerre commerciale. Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a mis les dirigeants en garde contre cette tactique. Comme l’expérience des années 1930 l’a prouvé, si le libre-échange disparaît, la récession risque bel et bien de resurgir.

Ce que cela signifie pour All Roads

Il est selon nous judicieux de maintenir une allocation équilibrée entre les différentes classes d’actifs, car l’incertitude géopolitique et nominale persiste, dans un contexte de tendances positives pour les actions et les matières premières. Pour notre solution Balanced, nous maintenons notre exposition aux marchés au niveau stable de 150%. Nous conservons une allocation de 60% aux actifs de diversification et de 40% aux actifs cycliques.

En d’autres termes, Simply Put, l’histoire nous apprend que l’effet inflationniste des droits de douane peut vite se transformer en un scénario récessionniste s’ils sont élevés et deviennent réciproques. 

Indicateurs macro/en temps réel

Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.

Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :

  • Cette semaine, la croissance s’est légèrement améliorée grâce à la progression de la zone euro et au recul des données américaines et chinoises. La consommation s’est redressée dans la zone euro. En revanche, le secteur manufacturier américain connaît des difficultés.
  • Notre indicateur d’inflation a de nouveau chuté cette semaine, dans le contexte d’une légère détérioration des données, et reste supérieur au seuil des 50%.
  • Notre indicateur en temps réel pour la politique monétaire mondiale a diminué dans la zone euro et en Chine, en raison de signaux négatifs, mais a augmenté aux Etats-Unis.
     

Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

Note de lecture : les indicateurs en temps réel de LOIM rassemblent différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).

2 sources
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1 Bloomberg et LOIM, 10 février 2025. Note de lecture : les trois points figurant au-dessus de 2025 représentent le niveau des droits de douane proposés par les Etats-Unis en 2025. Uniquement à titre indicatif. 
2 Bloomberg et LOIM, 10 février 2025. Uniquement à titre indicatif. Note de lecture : ces estimations ont été obtenues à l’aide d’estimateurs non paramétriques tenant compte de l’effet non linéaire de la réaction de l’inflation aux droits de douane. 

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