Un renforcement du dollar américain pourrait atténuer l’effet inflationniste de la hausse des droits de douane américains dont nous parlions dans l’édition de la semaine dernière de Simply put. Cela dit, quelles seront les répercussions potentielles sur l’économie mondiale ? Cette question est particulièrement pertinente pour des régions telles que l’Europe et la Chine, encore grevées par les ralentissements conjoncturels. De plus, ce sujet compte probablement plus que l’inflation, étant donné son importance pour les trajectoires des bénéfices des multinationales qui représentent la majeure partie des portefeuilles des investisseurs privés et professionnels.
Revenons sur le difficile quatrième trimestre 2018 : l’administration Trump avait alors lancé sa croisade pour les droits de douane. Qu’avons-nous appris de cette période et quelles conclusions en tirer pour 2025 ?
Un air de déjà-vu
Si vous avez étudié l’économie dans les années 1990 et 2000, vous connaissez le modèle Heckscher-Ohlin qui précise les effets du libre-échange sur les trajectoires des pays le pratiquant. Ce qu’il montre, et qui a plus tard été repris par l’économiste américain Paul Samuelson, c’est essentiellement que les pays devraient exporter les produits et services qu’ils ont en abondance et importer ce qui leur manque. Ce modèle a été promu par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), précurseur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans le but de garantir un commerce international présentant un minimum d’obstacles, et ce, au bénéfice du plus grand nombre. Cela a permis aux prix de facteurs tels que le travail (salaires) et le capital (taux d’intérêt) de converger au niveau mondial, ce qui profite au plus grand nombre.
Bien que ces théories remontant à la première moitié du XXe siècle aient été largement révisées, on pourrait considérer que l’essor de la Chine depuis son adhésion à l’OMC est un cas d’école du modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson. La Chine, qui pendant une décennie était exportatrice de biens nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, a vu ses salaires augmenter progressivement et converger vers ceux de ses partenaires commerciaux.
Ce que l’OMC a contribué à créer va toutefois bien au-delà de l’exemple chinois. Le graphique 1 montre l’évolution des droits de douane moyens depuis 2002. La moyenne de tous les produits et celle des seuls biens de consommation sont séparées. Les droits de douane de ces derniers ont été divisés par deux en 20 ans, passant de 14% à 7%, un facteur essentiel ayant permis la progression des salaires en Asie du Sud-Est au cours de la période – sans parler de la baisse simultanée qui a été appliquée aux taux d’intérêt dans la région.
Les augmentations de droits de douane décidées par les Etats-Unis en 2018 ont mis fin aux effets déflationnistes de 20 années de libre-échange croissant. Comme le montre le graphique 1, les tarifs douaniers moyens appliqués aux biens de consommation sont passés de 6,9% en 2017 à 8,9% en 2019. Comme les Etats-Unis représentant 15% des flux commerciaux mondiaux de marchandises, nous pouvons constater l’effet d’une augmentation moyenne de 10% des droits de douane au cours de la période. Leur diminution à 6,5% en 2020 et 2021 montre les effets différés de ces tarifs douaniers : les stratégies d’évitement mises en œuvre par les grandes entreprises et les changements d’habitudes de consommation expliquent probablement cet effet temporaire. Nous devons à présent répondre à la question suivante : ces droits de douane entraînent-ils une baisse du commerce international et ont-ils par conséquent un impact négatif sur la croissance mondiale ?
GRAPHIQUE 1. Évolution annuelle des droits de douane moyens dans le monde 2002-20211
Moins de commerce mondial, moins de croissance mondiale
Lorsque la première administration Trump a décidé d’imposer une séquence de hausses inégales des droits de douane, principalement sur les importations en provenance de Chine, elle remettait en cause la théorie selon laquelle le libre-échange est bénéfique pour la croissance mondiale. Ces tarifs douaniers plus élevés correspondaient globalement à une hausse des prix à l’importation d’environ 10 points de pourcentage. Les barres orange du graphique 2 montrent une estimation de l’impact de ces choix. Entre 2018 et 2019, il correspond dans l’ensemble à une hausse des prix à l’importation de 10% prise sur la croissance du commerce mondial ainsi que sur le PIB de la zone euro et des Etats-Unis respectivement.
L’effet sur la croissance du commerce mondial est spectaculaire : alors qu’elle avait augmenté d’environ 3,3% par an en termes réels de 2002 à 2017, elle s’est contractée de 0,9% par an entre 2018 et 2019. A titre de comparaison, les retombées sur la croissance européenne ont été limitées (-0,1%), tandis que la croissance américaine a, semble-t-il, réagi positivement (+0,6% de croissance par rapport à la tendance 2002-2017). Même si certaines simulations sont nécessaires et s’il est difficile d’attribuer directement cet écart par rapport aux tendances à long terme au seul effet des droits de douane, la conclusion reste que les Etats-Unis sont sortis plutôt gagnants de cette expérimentation économique.
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Les barres bleues du graphique 2 représentent l’estimation d’un effet simulé sur deux ans d’une augmentation de 10% des droits de douane (simulé par l’effet d’une augmentation de 10% des prix à l’importation aux Etats-Unis). Elle est obtenue à partir d’estimations couvrant la période 2001-2024. L’effet calculé sur le commerce international est proche de ce que l’on a pu observer sur la période 2018-2019 : une augmentation de 10% des droits de douane correspondrait à une baisse du commerce international de 1,2% par an, ce qui entraînerait un ralentissement de l’ordre de 0,3% du PIB européen, et de 0,1% pour celui des Etats-Unis.
Le reste du ralentissement du commerce mondial affecterait principalement les économies hors G10. Celles dont la croissance des salaires a le plus profité du libre-échange sont aussi celles qui souffriraient le plus de son déclin. A titre d’exemple, une augmentation de 1% en termes réels du PIB mondial correspond généralement à une augmentation de 1,4% du commerce international. Ainsi, plutôt que de s’interroger sur l’effet inflationniste potentiel des hausses de tarifs douaniers appliquées par la nouvelle administration Trump, nous devrions probablement davantage nous préoccuper du coût économique compte tenu de ses répercussions probables sur la croissance mondiale.
GRAPHIQUE 2 : Effet simulé sur le commerce mondial et la croissance économique pendant deux ans d’une augmentation de 10% des prix à l’importation aux Etats-Unis 2
Ce que cela signifie pour All Roads
Comme nous l’écrivions la semaine dernière, nous sommes conscients de la nécessité de maintenir un certain niveau de diversification face au contexte d’incertitude économique. Si les obligations ont été coûteuses ces deux derniers mois, elles offrent aujourd’hui des perspectives de rendement intéressantes par rapport aux actions, qui peuvent sembler chères. Notre allocation conserve une solide diversification qui, même si elle a peut-être été coûteuse ces derniers temps, pourrait s’avérer utile pour faire face aux évolutions du marché durant les derniers mois de l’année.
En d’autres termes, Simply put, les droits de douane envisagés par l’administration Trump 2.0 font peser plus de risques sur la croissance mondiale que sur l’inflation.
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Indicateurs macro/en temps réel
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Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
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Note de lecture : l’indicateur en temps réel de LOIM rassemble différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).