À l’occasion des élections américaines, Simply put examine le scénario idéal de plusieurs responsables politiques, à savoir qu’une baisse des impôts puisse catalyser la croissance et générer des recettes fiscales plus importantes. Le président Reagan n’a pas réussi à mettre cette théorie en pratique au début des années 1980, mais les circonstances économiques nettement différentes d’aujourd’hui pourraient-elles conduire à un résultat plus favorable ? Et dans ce cas, comment les investisseurs devraient-ils préparer leurs portefeuilles ?
La courbe de Laffer contre-attaque
Avec une nouvelle élection présidentielle aux Etats-Unis, certains thèmes de campagne paraissent étonnamment familiers, notamment l’affrontement entre les partisans d’une augmentation des dépenses publiques et ceux d’une baisse des impôts. Le discours républicain suggérant qu’une réduction des taux d’imposition permettrait de maintenir les déficits budgétaires inchangés est encore plus évocateur.
Cette notion remonte à l’élection de Ronald Reagan au début des années 1980 et est défendue par un économiste de renom, Arthur Laffer. Sa théorie, prétendument esquissée sur une serviette de table, postulait que des recettes fiscales identiques pouvaient être obtenues grâce à deux taux d’imposition distincts : l’un élevé et inhibant la croissance, l’autre nettement plus faible, mais favorisant l’activité économique et, par conséquent, la hausse des recettes fiscales.
Si les économistes du XXIe siècle ont largement rejeté cette approche, car ces taux maximaux théoriques n’étaient jamais susceptibles d’être atteints, l’attrait intuitif du concept perdure, influençant à la fois les « Reaganomics » et les « Trumponomics ».
Quelle est donc la pertinence de l’effet Laffer en 2024 ?
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Le paradoxe fiscal
Les économistes classiques et libéraux ont développé des cadres théoriques démontrant les effets négatifs d’une fiscalité excessive sur l’activité économique, ce qui a donné naissance à deux grandes théories : l’effet Ricardo-Barro et l’effet Laffer. La première suggère que l’impact d’une augmentation temporaire des dépenses publiques est atténué par le fait que les contribuables anticipent les futures augmentations d’impôts nécessaires pour financer cette dernière, ce qui neutralise la croissance des dépenses fiscales. La seconde postule l’existence d’un seuil d’imposition improductif. Lors d’une réunion désormais légendaire, Laffer a présenté ce concept à l’ancien vice-président américain Dick Cheney à l’aide d’une courbe en cloche illustrant la relation entre les taux d’imposition et les recettes fiscales. Bien que Laffer ne se souvienne pas de ce dessin, son élégante proposition demeure : deux taux d’imposition peuvent produire des recettes équivalentes ; l’un élevé, étouffant l’initiative économique, l’autre plus bas, catalysant la croissance et générant des recettes fiscales substantielles.
Le choix entre ces scénarios semble évident : une politique budgétaire prudente devrait privilégier la modération, en particulier lorsque celle-ci s’avère fiscalement neutre en raison d’une croissance accrue générant des rentrées d’argent inattendues. Pourtant, cette intuition a priori convaincante mérite un examen approfondi.
Le consensus académique s’est largement écarté de cette théorie, principalement en raison des faits historiques. L’analyse des données du Trésor américain concernant les recettes fiscales rapportées aux taux d’imposition des ménages et des entreprises (graphique 1) montre des tendances révélatrices sur des intervalles de cinq ans entre 1945 et 2024. Lorsqu’on observe les taux d’imposition des sociétés, fluctuant entre 20% et 50%, on constate que plus les taux sont élevés, plus les recettes augmentent, ce qui contredit l’effet Laffer.
En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, l’effet Laffer ne se manifeste que dans le cas des tranches de revenus les plus élevées, avec des taux marginaux d’imposition atteignant entre 85% et 90% – loin du seuil d’environ 40% d’aujourd’hui. Malgré cette remise en cause empirique de l’effet Laffer et en dépit des données contradictoires, la rhétorique républicaine continue de s’appuyer sur son attrait intuitif. Le programme économique de l’administration Reagan constitue une étude de cas fondamentale à cet égard.
Graphique 1 : Ratio recettes fiscales/PIB rapporté au taux d’imposition des sociétés et aux taux d’imposition marginaux supérieurs du revenu des ménages aux Etats-Unis1
lire assui : Comment un dérapage budgétaire américain pourrait-il affecter les marchés ?
Reaganomics = Trumponomics
Si l’économie politique nous enseigne une vérité indéniable, c’est que, si l’histoire ne se répète pas, elle rime souvent. En 1980, l’administration Reagan est tombée sous le charme de la proposition séduisante d’Arthur Laffer : alléger la fiscalité pour améliorer le recouvrement des impôts. L’Economic Recovery Tax Act (ERTA) de 1981 comprenait un ensemble complet de mesures cycliques destinées à revigorer une économie considérablement affaiblie par les hausses agressives des taux d’intérêt de la Réserve fédérale, une stratégie mise en œuvre par le formidable Paul Volcker pour lutter contre une inflation persistante et inattendue. L’ERTA prévoyait une ambitieuse réduction globale des impôts, supérieure à 5%, qui était censée revitaliser l’économie américaine et, par conséquent, générer des recettes fiscales accrues.
Le graphique 2 illustre les conséquences de la mise en œuvre de ce programme économique, en représentant la courbe des recettes fiscales, l’évolution du déficit, la croissance de la dette et les taux d’intérêt réels. Pour les observateurs contemporains, ce récit devrait avoir une résonance à la fois familière et inquiétante : les recettes du Trésor se sont contractées de 2% du PIB, le déficit public s’est maintenu à 5% du PIB pendant cinq ans, la dette nationale a gonflé d’environ 20% du PIB, tandis que les taux réels ont grimpé de 8%, tout cela alors que la Réserve fédérale maintenait sa position anti-inflationniste, contrecarrant ainsi les pressions inflationnistes de la de ce stimulus fiscal.
Ce parallèle historique reflète-t-il parfaitement notre situation actuelle ? Pas tout à fait. Les politiques de Volcker ont indéniablement précipité une double récession qui est devenue emblématique de l’histoire économique des années 1980 : une gravité absente de notre situation actuelle. L’inflation actuelle, bien que préoccupante, n’est pas comparable aux défis de cette époque et, contrairement aux années 1980, aucun choc pétrolier n’a précédé notre récente poussée inflationniste. Au contraire, notre situation actuelle est principalement due à des pressions du côté de la demande, alimentées par des dépenses publiques expansionnistes.
Néanmoins, nous devons en tirer une leçon fondamentale : les politiques de l’offre à la Laffer fonctionnent essentiellement comme des stimuli de la demande, conduisant inévitablement à un gonflement durable de la dette. Les baisses d’impôts, bien qu’attrayantes sur le plan politique, s’avèrent notoirement difficiles à inverser, une leçon dont l’administration Reagan a payé le prix. La conséquence la plus pernicieuse est peut-être l’augmentation des taux réels qui en a résulté, les récentes hausses des taux à long terme constituant un écho lointain, mais inquiétant, de cette époque.
Graphique 2 : Evolution des recettes fiscales, du déficit public, de la dette publique et des taux d’intérêt réels : 1980-19902
Ce que cela signifie pour All Roads
Nos stratégies All Roads ont vu leur allocation aux actifs de couverture gagner en importance depuis l’été, notamment l’allocation obligataire, qui est passée de sous-pondérée à neutre3. Depuis lors, compte tenu des turbulences, de la volatilité de la confiance du marché et de la normalisation progressive de la volatilité des obligations, nos expositions à la duration ont cessé d’augmenter. Si le risque obligataire reste présent, il n’atteint pas les niveaux observés en 2022. L’approche des élections américaines impose une forte diversification et une forme de neutralité qui s’aligne sur notre stratégie d’allocation actuelle.
En d’autres termes, Simply put, les réductions d’impôts creusent le déficit et augmentent la dette : une tendance qui a récemment inquiété les marchés.
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Indicateurs macro/en temps réel
Nos indicateurs en temps réel dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.
Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :
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Nos signaux de croissance, qui avaient repris de la vigueur depuis septembre, semblent se replier légèrement. Pour l’instant, la croissance continue de montrer des signes d’amélioration
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Les pressions inflationnistes se renforcent à l’approche de la fin de l’année, en particulier aux Etats-Unis
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Selon nos signaux, le virage de la politique monétaire devrait se poursuivre. Le changement de cap de la Banque centrale européenne semble le plus menacé compte tenu de l’augmentation récente des pressions inflationnistes dans la zone euro ;
Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)
Note de lecture : l’indicateur en temps réel de LOIM rassemble différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).