APERÇU DU MARCHÉ
Le marché des actions a commencé l’année 2025 sur une note négative alors que les taux américains à dix ans se rapprochaient des 5%, entraînant une hausse du dollar dans un contexte de données économiques solides outre-Atlantique (indice manufacturier ISM et chiffres de l’emploi) et d’un tournant plus restrictif des perspectives concernant les taux d’intérêt aux Etats-Unis. Toutefois, au cours du mois, l’optimisme s’est quelque réinstallé grâce au début favorable de la saison des résultats trimestriels des banques américaines. En Europe, le compte tendu de la réunion de la Banque centrale européenne (BCE) a confirmé les inquiétudes grandissantes entourant la faiblesse de l’économie et la possibilité d’une inflation inférieure aux attentes, laissant entrevoir un penchant de plus en plus marqué en faveur d’un assouplissement. Malgré la faiblesse de l’activité économique dans certains des principaux pays européens, les actions européennes ont été très solides au cours du mois mais n’ont effacé que légèrement leur sous-performance de 2024.
Vers la fin du mois, le lancement du chatbot d’IA chinois DeepSeek a ébranlé les valeurs technologiques américaines. Parallèlement, Donald Trump a signé de nombreux décrets et enchaîné les déclarations relatives à la politique dans les domaines climatique, de la santé et de l’énergie. Annoncés largement à l’avance, ces décrets ont été plus ou moins conformes aux attentes. Bien que le ton des messages puisse sembler hostile à la transition, nous pensons que la disparition des incertitudes politiques, la mise en place de conditions favorables aux entreprises, l’accent mis sur la déréglementation et les relocalisations pourraient au final se révéler positifs pour l’investissement privé dans les infrastructures, les réseaux électriques, la fabrication de semi-conducteurs et la « smartification ».
THÈSE D’INVESTISSEMENT
L’historien Adam Tooze utilise le terme « polycrise » pour décrire une situation dans laquelle les interactions entre de multiples problèmes – du changement climatique au populisme en passant par un retour de la guerre – s’amplifient les unes les autres et génèrent une dynamique mondiale déstabilisatrice. Selon Generation, les marchés financiers traversent aujourd’hui leur propre « polycrise ». Elle se déroule sur deux fronts : politique et technologique. La polycrise des marchés complique le processus d’allocation du capital. Elle crée des distorsions dans les cours de marché, surtout à court terme. Le marché se concentre tour à tour sur le très court terme et sur un horizon de quelques années tout au plus.
Il y a cependant une lueur d’espoir. Elle fait émerger de formidables opportunités pour les investisseurs qui sont prêts à adopter une véritable vision de long terme. Comme le veut le dicton, le marché est une machine à voter à court terme et une machine à peser à long terme. Au bout du compte, ce sont les cash flows à long terme qui importent. Selon Generation, le marché se montre désormais exceptionnellement apte à intégrer les informations à court terme, mais d’une manière qui amplifie les inefficiences à long terme. L’équipe se montre optimiste quant à sa capacité à tirer parti de ces inefficiences pour générer des rendements excédentaires à long terme1.
Evoquons maintenant chacun de ces changements.
En premier lieu, les politiques d’investissement ont connu une profonde évolution ces dernières années. Le populisme est en marche. Les entreprises peinent de plus en plus à opérer par-delà les frontières, en particulier lorsque la Chine est concernée. Les responsables politiques sont plus disposés à adopter des mesures qui nuisent aux entreprises afin de satisfaire des objectifs politiques, comme des restrictions sur le commerce.
Les politiques de durabilité ont toujours connu des hauts et des bas. Pendant la pandémie de Covid, elles ont atteint un niveau de popularité extrême, alors qu’elles n’avaient guère suscité d’intérêt durant la crise financière mondiale. La durabilité traverse actuellement une période de marché baissier. Le rejet des critères ESG a des répercussions négatives sur l’investissement durable et la durabilité des entreprises. Dans le domaine des investissements, il réduit la portée du message collectif défendu par les gestionnaires d’actifs sur le climat : de grands gérants américains ont quitté l’initiative Climate Action 100+ et réduit les ambitions affichées dans leur mobilisation. Du côté des entreprises, ce rejet nuit aux efforts visant à améliorer la diversité, l’équité et l’inclusion, et certaines d’entre elles ont tempéré leurs engagements climatiques. Pour Generation, la réélection du président Trump devrait alimenter ce rejet2.
Ces tendances sont inquiétantes. L’année 2024 a probablement été la plus chaude jamais enregistrée. Ainsi, Generation s’inquiète de constater que la recherche de solutions à la crise climatique ne soit plus jugée constituer un enjeu majeur. L’équipe estime que les investissements destinés à atténuer la crise climatique ne sont pas seulement bons pour la société, mais génèrent également des retombées économiques positives. Ils permettent un retour sur investissement rapide et dépendent peu des subventions. Lorsqu’une entreprise investit pour devenir plus efficiente et réduire son empreinte carbone, elle vote avec son portefeuille.
En second lieu, la technologie des marchés financiers a changé. Le changement technologique n’a bien sûr rien de nouveau. Il y a d’abord eu l’essor du trading électronique, puis la montée des fonds spéculatifs, suivi de celle des stratégies de trading quantitatif. Ces évolutions ont fait avancer le monde de l’investissement le long d’un continuum d’améliorations technologiques. Selon Generation, elles se sont accélérées ces dernières années.
Grâce aux médias sociaux, les informations sur les entreprises circulent plus rapidement que jamais. Si le marché est une machine à voter, alors les scrutins s’enchaînent à une vitesse inédite. L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans les stratégies d’investissement est une nouvelle pièce de ce puzzle. Soutenus par la technologie, les fonds d’investissement passifs aux Etats-Unis ont récemment vu leurs actifs sous gestion dépasser celui des fonds actifs.
Une autre tendance récente est l’essor des structures de fonds spéculatifs multi-gestionnaires, qui se caractérisent par des équipes autonomes (« pods ») d’investisseurs fonctionnant de manière indépendante au sein d’une organisation plus large. Les plus grandes firmes ont vu leurs actifs sous gestion multipliés par quatre environ au cours de la dernière décennie. Elles représentent désormais probablement plus de 20% des volumes de transactions boursières – un chiffre stupéfiant3.
De nombreuses recherches ont montré que ces changements bouleversent les marchés financiers. Un article récent indique que la montée en puissance de l’investissement passif a « amplifié les variations des cours, réduit le niveau de liquidité, [généré] de possibles inefficiences macroéconomiques et [conduit à] une concentration disproportionnée de l’influence du marché dans quelques actions dominantes »4. L’équipe d’investissement s’interroge sur l’idée de Clifford Asness selon laquelle les médias sociaux ont rendu les marchés financiers plus sujets aux bulles5. L’information circule désormais si rapidement que l’enthousiasme suscité par une entreprise peut facilement s’auto-alimenter. Selon le dernier Rapport sur la stabilité financière du FMI, l’essor de l’IA pourrait entraîner « une accélération du marché et une volatilité accrue en période de tensions, en particulier si les stratégies de trading des modèles d’IA réagissent toutes d’une manière similaire à un choc ou s’arrêtent en réponse à un événement imprévu »6.
Les travaux universitaires sur les fonds spéculatifs multi-stratégies sont moins nombreux, car ces supports sont relativement nouveaux. Pourtant, un consensus de plus en plus important se forme sur le fait qu’ils pourraient accroître la focalisation du marché sur le court terme (et générer la volatilité qui y est associée). Ces fonds s’appuient sur un effet de levier important, et celui-ci est devenu plus coûteux récemment. Les gérants doivent donc non seulement faire les bons choix, mais aussi les faire rapidement. Ces évolutions technologiques interagissent également entre elles. Si le développement de la gestion passive réduit les poches d’alpha potentielles, et si une plus grande partie de cet alpha est générée par des fonds multi-stratégies qui se concentrent surtout sur le court terme, à brève échéance cela affecte l’alpha restant pour les investisseurs à long terme.
Bien sûr, Generation n’est pas un groupe de professeurs de finance. L’équipe est formée de professionnels, qui doivent composer avec le marché qui est face à eux. Cela étant, quelque chose a changé. On peut considérer les marchés comme un écosystème. Il est donc intéressant de se demander comment un écosystème peut évoluer ou se dégrader (c’est-à-dire perdre sa diversité). Du point de vue de Generation, l’investissement n’est plus le même, et ce à différents égards.
Les marchés évoluent entre des cycles de « cupidité » et de « peur ». Toutefois, en cas de polycrise, l’équipe observe que les deux cycles existent simultanément. D’une part, les acteurs du marché sont extrêmement préoccupés par l’avenir des relations entre les Etats-Unis et la Chine et par la possibilité de voir la société évoluer vers des taux d’intérêt et d’inflation structurellement plus élevés. Les mesures quantitatives de l’incertitude sont ainsi bien supérieures aux moyennes historiques7. D’autre part, les rendements potentiels promis par l’IA et la capacité des entreprises américaines à maintenir la forte croissance de leurs bénéfices suscitent l’enthousiasme des investisseurs. Nous sommes ainsi confrontés à une instabilité mondiale en parallèle à la poursuite de la progression des places boursières. Les règles du jeu sur le marché ont changé.
Dans de nombreux secteurs du marché, il est indéniable que les valorisations sont élevées. La capitalisation boursière des cryptomonnaies équivaut désormais plus ou moins à l’indice Russell 20008. On compte environ 1’200 start-ups valorisées au-delà du milliard de dollars, alors que les sociétés cotées affichant des valorisations comparables sont moins de 2’000. MicroStrategy, une société de veille économique dont la capitalisation boursière s’élevait à USD 50 milliards, a récemment dévoilé son intention de lever USD 21 milliards sur trois ans pour acheter du bitcoin. Après cette annonce, son action a bondi de 74%, plaçant la valorisation de la société 292% au-dessus de la valeur de ses avoirs en bitcoins. Cela montre l’enthousiasme que suscite sa stratégie chez les investisseurs malgré les difficultés que connaissent ses activités dans les logiciels. Selon Generation, les cours du marché sont désormais détachés au moins en partie des réalités économiques sous-jacentes.
En 2024, le S&P 500 a connu une année historiquement solide9. Un petit nombre de grandes entreprises (notamment le groupe des « Sept Magnifiques ») explique en grande partie cette performance, ce qui a propulsé les mesures de la concentration du marché vers des sommets historiques. Les 10 premières actions représentent ainsi bien plus du tiers de la capitalisation boursière totale du S&P 500, ce qui est nettement supérieur à la moyenne d’environ 20% des dernières décennies. Une seule entreprise, Nvidia, est à l’origine de 5% de la performance du S&P 500 en 2024. Elle a en outre récemment atteint une pondération plus importante que la France dans l’indice MSCI World10.
Pour certains, la forte progression des actions des Sept Magnifiques ces derniers mois reflète simplement l’amélioration accélérée des fondamentaux économiques. Les valorisations, à l’aune du ratio cours/bénéfice, n’ont pas explosé. Les cours des actions ont grimpé, mais surtout, les bénéfices ont augmenté rapidement, ce qui a permis de maintenir des ratios cours/bénéfices relativement constants.
Generation estime toutefois que le marché ne fait pas suffisamment de distinction entre ces entreprises. L’appellation « Mag7 » nous donne ici un indice : Tesla est une société fondamentalement différente d’Amazon. Est-il judicieux de mettre Tesla et Amazon dans le même club11 ? Les bénéfices futurs semblent plus durables pour certaines entreprises que pour d’autres. Selon Generation, Microsoft et Amazon disposent des atouts requis pour réussir à long terme. Comme évoqué dans de précédents rapports, Generation a plus de doutes concernant Nvidia.
1 Un article récent sur ce sujet a attiré l’attention de Generation. Ses conclusions sont les suivantes : « Le profil de rendement à long terme [des titres] ne suscite pas suffisamment l’attention. Les investisseurs dont la carrière n’est pas menacée tentent de profiter de ce manque d’attention en achetant les actions les plus attrayantes de ce sous-ensemble, puis en les conservant sur un horizon de long terme. Compte tenu du manque d’attention porté à ces actions, ils espèrent qu’elles généreront des rendements plus élevés sur de longues périodes. Dans cet article, je mets cette théorie à l’épreuve. Je constate effectivement que les actions conservées pendant la période la plus longue ont tendance à surperformer celles qui sont conservées pendant des périodes plus courtes. » Voir « Career concerns and time arbitrage », Kalash Jain, mai 2024.
2 Generation prévoit de dédier cette année un article aux conséquences du rejet des critères ESG.
3 Analyse interne fondée sur des recherches de Goldman Sachs.
4 Cela a toute une série de conséquences sur le fonctionnement du marché. Voir von Moltke, Felix et Torsten Sløk. « Assessing the Impact of Passive Investing over Time: Higher Volatility, Reduced Liquidity, and Increased Concentration. » 2024.
5 Asness, Clifford S. « The Less-Efficient Market Hypothesis. » A paraître dans le numéro du 50e anniversaire du Journal of Portfolio Management, 2024.
6 Fonds monétaire international, « Rapport sur la stabilité financière », 2024.
7 Voir Baker, Scott R., Nicholas Bloom et Steven J. Davis. « Measuring economic policy uncertainty. » The Quarterly Journal of Economics 131, no. 4 (2016): 1593-1636 et données de suivi.
8 Pour les faits évoqués dans ce paragraphe, Generation s’appuie sur une édition récente de Grant’s Interest Rate Observer en date du 22 novembre 2024.
9 Voir l’article : https://www.reuters.com/markets/us/sp-500-counts-final-mag-7-push-best-year-this-century-mcgeever-2024-10-29/.
10 Pour cette observation et d’autres, Generation remercie à nouveau le Grant’s Interest Rate Observer en date du 22 novembre 2024.
11 Generation observe que la participation des investisseurs particuliers aux Mag7 est élevée. Comme indiqué lors d’une récente conférence de Goldman Sachs Financial Services, sur certaines plateformes, 70% des échanges portent sur ces titres.
REVUE DE LA PERFORMANCE
Le processus de Generation étant étayé par une sélection de titres bottom-up. Le Gérant se réfère à l’attribution de titres ci-jointe concernant les moteurs de la performance en janvier.
En tant qu’investisseur à long terme intégrant une perspective de durabilité dans son analyse, Generation se concentre sur les perspectives à long terme des sociétés en portefeuille et sur le bien-fondé de sa thèse, malgré les éventuels vents contraires à court terme et les fluctuations des cours boursiers.
Au cours du mois, les principaux moteurs de la performance ont été Thermo Fisher, Mercadolibre et Charles Schwab. A l’inverse, les principaux freins ont été Microsoft, Kingspan et Danaher. Malgré les difficultés temporaires rencontrées par ces sociétés, l’équipe Generation confirme sa thèse à long terme sur ces titres et sur d’autres positions du portefeuille.
Generation se concentre sur l’exécution rigoureuse de son processus et apporte des modifications aux domaines d’amélioration détectés par le Gérant.