Politique monétaire et inflation : un changement de perception des marchés ?

Florian Ielpo, PhD - Head of Macro, Multi Asset
Florian Ielpo, PhD
Head of Macro, Multi Asset

points clés.

  • Après une longue période de hausse des taux directeurs, les premières réductions de taux opérées par les banques centrales ont été perçues par les marchés comme l’anticipation d’une détérioration cyclique, ce qui a entraîné une baisse des taux d’intérêt à long terme en raison des points morts d’inflation
  • Depuis la mi-septembre, cependant, les signes de nouvelles pressions inflationnistes aux Etats-Unis ont modifié la perception de la politique monétaire sur le marché, avec une augmentation des taux à long terme alors même que les banques centrales poursuivent leurs cycles d’assouplissement
  • Comme les données relatives à la croissance américaine sont solides et qu’il est peu probable que les taux d’intérêt réels baissent davantage, seule une consolidation budgétaire est susceptible de faire baisser plus fortement les taux d’intérêt à long terme. Toutefois, ce scénario semble encore lointain. 

Baisse des taux directeurs, hausse des taux à long terme

Depuis la mi-septembre, les taux à long terme ont connu une évolution quelque peu contre-intuitive mais notable : les réductions des taux directeurs à court terme annoncées par les banques centrales ont été immédiatement suivies de hausses des taux à long terme. Cette réaction du marché est d’autant plus surprenante que toutes les banques centrales du G10, à l’exception de celle du Japon, ont désormais entamé leur cycle de réduction des taux. Même la Chine a récemment initié un cycle de relance monétaire.

A première vue, ces baisses de taux des banques centrales s’apparentent davantage à un « recalibrage » de la politique monétaire qu’à une série de baisses préventives anticipant une récession, et le comportement du marché obligataire peut être interprété comme un ajustement à ce nouveau paysage monétaire. Cependant, la hausse des taux à long terme suggère que la perception de la politique monétaire sur le marché a considérablement changé. Dans cette édition de Simply put, nous cherchons à déterminer si ce scénario pourrait se prolonger. Notre analyse commence par la compréhension des facteurs sous-jacents.

La fonction de réaction des marchés a changé

Quelle que soit la courbe des taux du G10 considérée, la conclusion reste la même : de mai à mi-septembre 2024, chaque réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed) ou de la Banque centrale européenne (BCE) a entraîné une réduction des anticipations d’inflation. Cela est clairement illustré par la figure 1, qui montre les anticipations d’inflation mesurées par les points morts d’inflation en Allemagne, en France et aux Etats-Unis de mars à octobre 20241. Aux Etats-Unis, les points morts d’inflation sont passés de 2,4% à la fin du mois d’avril à un peu moins de 2% au début du mois de septembre. Etant donné que l’objectif d’inflation à long terme de la Fed est de 2%, cela représenterait un point culminant en termes de crédibilité. Cette tendance ne se limite pas aux Etats-Unis : comme le montre le graphique, l’évolution des points morts d’inflation en France et en Allemagne confirme également que l’attitude accommodante des banques centrales du G10 au cours de cette période a été perçue comme désinflationniste.

Graphique 1 : Points morts d’inflation à 10 ans en Allemagne, aux Etats-Unis et en France, de mars à octobre 20242

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Néanmoins, le sentiment de victoire sur l’inflation a été de courte durée. A la suite de la réunion de la BCE du 12 septembre, la perception des marchés a changé. Les baisses de taux n’étant plus considérées comme désinflationnistes mais comme inflationnistes, les anticipations d’inflation ont commencé à remonter sur toutes les courbes. Certains pourraient penser que le comportement du marché a été influencé par les déclarations de Christine Lagarde, la présidente de la BCE, mais il a probablement été plus fortement infléchi par le rapport sur l’inflation américaine du 11 septembre. Les données ont montré que l’inflation avait augmenté de manière inattendue pour la première fois depuis le mois de mai. Ce constat, conjugué à l’attitude accommodante des banques centrales, a incité le marché à réévaluer les perspectives d’inflation à long terme, tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

Ces « surprises » en matière d’inflation – qui ont été largement anticipées par nos indicateurs d’inflation en temps réel – devraient se poursuivre, en particulier aux Etats-Unis. Il convient donc de rester vigilant face à cette combinaison de rhétorique accommodante des banques centrales et d’inflation plus élevée que prévu, qui pourrait exercer une pression sur les marchés obligataires à court terme. Cependant, l’inflation attendue n’est qu’une des composantes des taux longs. Qu’en est-il des autres composantes ?

Ce qui pourrait faire baisser les taux

Les taux à long terme comprennent trois composantes : les anticipations d’inflation (cf. figure 1), les taux réels (c’est-à-dire les taux de marché observés nets d’inflation) et la prime fiscale, mesurée par les taux de CDS (credit default swap) de chaque pays. La figure 2 illustre l’évolution récente de la composition des taux longs pour les trois mêmes pays. Comme on peut le constater, la diminution importante des rendements entre mai et septembre est largement imputable à la baisse de la composante inflation, qui explique une part importante de la bonne performance observée sur le marché obligataire au cours du troisième trimestre.

Graphique 2 : Composition des taux d’intérêt à 10 ans pour les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, mai-octobre 20242

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Cependant, nous devons tenir compte des points suivants :

  • Concernant l’inflation, le fait que le recalibrage de la politique monétaire ait été perçu comme étant désinflationniste s’explique en partie par les craintes exprimées par les opérateurs de marché à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août que la politique monétaire puisse en fait s’avérer récessionniste. Au vu des dernières données sur la croissance plus élevées que prévu, le vent a clairement tourné
  • Pour ce qui est des taux d’intérêt réels, comme nous l’avons évoqué précédemment dans cette colonne, il est difficile d’envisager une nouvelle baisse de ces taux, compte tenu du tarissement de l’épargne mondiale et de l’augmentation des besoins d’investissement.
  • Pour sa part, la prime fiscale pourrait légèrement augmenter à l’avenir, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, compte tenu de l’importante consolidation budgétaire nécessaire de part et d’autre de l’Atlantique. Pour l’instant, toutefois, la situation n’a guère évolué, même en France, où se concentrent une partie des tensions actuelles.

Au vu de ces facteurs, il est peu probable que les taux longs diminuent fortement à court et à moyen terme. Au contraire, la pentification de la courbe pourrait se poursuivre, en particulier si la BCE et la Fed persistent à réduire leurs taux en dépit des améliorations cycliques actuelles.

En l’état actuel des choses, le principal argument en faveur d’une baisse des taux à long terme est l’impact potentiel de la consolidation budgétaire en 2025. Si ces mesures, attendues de longue date, étaient pleinement mises en œuvre, l’effet procyclique pourrait conduire à une réduction significative de la prime d’inflation, suivie d’une baisse mécanique des taux à long terme. Il convient toutefois de noter que nous sommes actuellement loin de ce scénario et que les déviations budgétaires des gouvernements se sont banalisées. Aux Etats-Unis, le thème de la responsabilité fiscale (ou son absence) pourrait dominer l’actualité post-électorale, donnant du fil à retordre aux défenseurs des obligations qui peinent actuellement à asseoir leur influence dans le bruit généré par les banques centrales.

Ce que cela signifie pour All Roads

Quant aux implications pour notre stratégie, nous avons sensiblement révisé notre allocation d’actifs au cours des deux derniers mois, pour refléter la normalisation progressive de la volatilité des obligations et les tendances plus positives observées au troisième trimestre. Actuellement, notre allocation3 comprend 60% d’actifs de couverture – qui couvrent la duration, l’inflation et la volatilité – et 40% d’actifs cycliques. Ce ratio est en parfaite adéquation avec notre allocation stratégique à long terme. Nous n’envisagerons pas d’adopter un positionnement plus défensif avant de voir une tendance haussière plus prononcée pour les obligations que ce que nos indicateurs d’investissement ont révélé jusqu’à présent.

En d’autres termes, Simply put, les rendements obligataires à long terme ne chuteront que si un ralentissement conjoncturel endogène ou exogène se produit.

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Indicateurs macro/en temps réel

Nos indicateurs en temps réel propriétaires de dernière génération dédiés à la croissance mondiale, à l’évolution inattendue de l’inflation et des politiques monétaires au niveau mondial sont conçus pour suivre la progression récente des facteurs macroéconomiques qui animent les marchés.

Nos indicateurs en temps réel montrent actuellement que :

  • Les données économiques récentes que nous avons recueillies continuent de montrer des signes d’amélioration cyclique de la croissance
  • Les pressions inflationnistes augmentent, et notre signal d’inflation aux Etats-Unis est en territoire positif
  • Il est peu probable que l’amélioration du contexte macroéconomique fasse basculer le consensus actuel sur une politique monétaire accommodante pour l’instant.

 

Indicateurs en temps réel pour la croissance mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

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Indicateurs en temps réel pour l’inflation mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

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Indicateurs en temps réel pour la politique monétaire mondiale : évolution à long terme (à gauche) et récente (à droite)

loim/news/2024/10/23102024_simply_put_weekly/french/SP-23-10_Fig-Nowcaster_Monetary_FR

Note de lecture : l’indicateur en temps réel de LOIM rassemble différents indicateurs économiques à un moment précis, afin de déterminer la probabilité de survenance d’un risque macroéconomique donné, comme la croissance, les surprises en matière d’inflation et les surprises en matière de politique monétaire. L’indicateur en temps réel va de 0% (croissance faible, surprises en matière d’inflation modérées et politique monétaire accommodante) à 100% (croissance forte, risque élevé de surprises en matière d’inflation et politique monétaire restrictive).

3 sources
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1 Les points morts d’inflation sont calculés en comparant le rendement d’une obligation nominale à 10 ans avec le rendement d’une obligation indexée sur les taux d’intérêt de même échéance.
2 Bloomberg, LOIM, octobre 2024. Uniquement à titre indicatif.
Les positions et/ou les allocations sont susceptibles de varier.

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